Article N° 7977

PRIX DU MÉDICAMENT

Médicaments : Des prix bas, oui, mais pas à tout prix !

ABDERRAHIM DERRAJI - 01 décembre 2024 17:36

Au Maroc, le prix des médicaments suscite régulièrement des critiques, notamment depuis la publication du fameux rapport de la Mission d’information sur le prix des médicaments, le 3 novembre 2009. Ce document avait soulevé de nombreuses interrogations sur les pratiques tarifaires, entraînant une diabolisation du secteur pharmaceutique. Les industriels avaient contesté la méthodologie de la Mission, plaidant pour une approche plus globale et dynamique. En réponse, ils avaient publié, en mars 2010, un rapport intitulé «Le secteur pharmaceutique marocain : réalités sur le prix des médicaments et intérêts du secteur».

À l'époque, les anomalies constatées s’expliquaient principalement par le mode de fixation des prix adopté par l’administration. Plusieurs études, telles que celles du cabinet Boston Consulting Group (BCG) ou l’«Étude sur la concurrentiabilité du secteur pharmaceutique», avaient également mis en lumière ces dysfonctionnements.

Pour remédier à cette situation, un travail de collaboration entre les autorités et les parties prenantes du secteur pharmaceutique a été entrepris. Cela a conduit à l'adoption du Décret 2-13-852 relatif à la fixation des prix publics des médicaments (PPV), publié le 18 décembre 2013. Ce texte introduisait une approche transparente, fondée sur un benchmark avec sept pays de référence et un système plus rationnel pour déterminer le prix des médicaments génériques.

Entré en vigueur en 2014, ce décret a permis une baisse des prix d’environ 3.000 médicaments. Depuis, des baisses sont régulièrement annoncées dans le Bulletin officiel. Cette réforme a contribué à corriger des aberrations tarifaires et à  générer des économies significatives pour les caisses d’assurance maladie.

Cependant, les médicaments des catégories T3 et T4, en particulier les princeps non encore génériqués, continuent de mobiliser une part importante des ressources de ces caisses. La réforme a aussi eu des conséquences négatives, notamment sur les revenus des pharmaciens.

En effet, la mise en application du décret 2-13-852 a fortement impacté les revenus des officinaux. Les forfaits appliqués aux médicaments dits «chers» (T3 et T4) restent faibles, tandis que les marges sur les médicaments des catégories T1 et T2 ne suffisent pas à compenser les baisses successives des prix. Par ailleurs, à chaque révision quinquennale, on constate un alignement des prix des génériques sur ceux des princeps.

En l’absence de droit de substitution, les pharmaciens se trouvent contraints de stocker de nombreux génériques aux prix identiques, ce qui va à l’encontre de leur objectif principal: générer des économies.

De plus, l’application stricte du décret, sans ajustement des prix anormalement bas, a exacerbé les ruptures d’approvisionnement et la disparition de certains médicaments essentiels, pourtant éprouvés et accessibles.


Malgré ces défis, le décret a atteint son objectif principal : réduire le coût de nombreux médicaments, bien que certaines anomalies subsistent, notamment pour les médicaments des catégories T3 et T4. Par ailleurs, des interrogations demeurent quant à l'application du benchmark. En théorie, un médicament commercialisé au Maroc ne devrait pas dépasser les prix pratiqués dans les sept pays de référence. Pourtant, des cas d’anomalies tarifaires persistent, nécessitant des éclaircissements et des ajustements appropriés.

Avec la généralisation de la couverture médicale, une augmentation de la consommation de médicaments est attendue, ce qui exercera une pression supplémentaire sur les caisses d’assurance, les incitant à chercher davantage à réduire les dépenses en médicaments. Il est donc crucial de trouver un équilibre.

D’une part, il faut réduire les prix des médicamnts sans compromettre la rentabilité des établissements pharmaceutiques ni la disponibilité des médicaments. D’autre part, il est nécessaire de repenser le modèle de rémunération des pharmaciens, encore lié exclusivement au chiffre d’affaires, pour éviter une précarisation croissante de ce corps de métier.

La question du juste prix des médicaments soulève des enjeux complexes. Les entreprises pharmaceutiques justifient des marges importantes par les investissements massifs en Recherche et Développement (R&D), nécessaires pour financer l’innovation. En revanche, les systèmes de santé et les patients réclament des prix accessibles, en particulier pour les traitements vitaux ou innovants, souvent hors de portée financière. Ce dilemme est particulièrement visible pour les traitements coûteux, tels que les thérapies géniques ou les médicaments pour maladies rares.

À l’international, certains pays ont mis en place des mécanismes de régulation efficaces. Par exemple, l’Italie privilégie une négociation collective des coûts des traitements, tandis qu’en France, la Haute Autorité de santé (HAS) évalue l’intérêt thérapeutique avant de fixer un prix remboursable. Ces régulations tentent de concilier accessibilité et innovation, bien qu’elles ne soient pas exemptes de critiques. Les opposants pointent un éventuel frein à l’innovation et une surcharge administrative pour les entreprises.

Au-delà des aspects techniques, le débat sur le prix des médicaments renvoie à une réflexion d’ordre éthique. La santé, en tant que droit fondamental, peut-elle être subordonnée à la logique de profit des firmes pharmaceutiques ? L’innovation doit-elle primer, quitte à sacrifier l’accessibilité ?

En définitive, le prix des médicaments doit refléter un équilibre juste entre coût, innovation et accessibilité. Si la régulation et la transparence sont indispensables, elles doivent s’accompagner d’un soutien aux différentes composantes du secteur pharmaceutique pour garantir sa viabilité économique et assurer la souveraineté en médicaments. Alors que le Maroc est en pleine transformation de son système de santé, ce débat doit être mené avec sérénité et dans un esprit de solidarité, afin que les intérêts de tous – patients, professionnels de santé et industriels – soient équitablement pris en compte.

Source : PharmaNEWS