Article N° 7592

CYPROHEPTADINE

Cyproheptadine : Le revers d’une supposée médaille ?

Abderrahim DERRAJI - 02 mai 2023 19:16

Influencées par les diktats de la mode des «grosses fesses», certaines jeunes filles ont recours à des médicaments à base de cyproheptadine. Ce mésusage inquiète,de plus en plus, les autorités sanitaires de certains pays, notamment la France.

Les «skinny», terme en anglais qui signifie très maigre, vantent, à travers la Toile, les mérites de cette molécule commercialisée sous la désignation commerciale Periactine. Celle-ci permettrait d’après les influenceuses d’avoir une silhouette en «sablier».

Periactine 4 mg(1) est un antihistaminique de première génération à base de cyproheptadine commercialisé en France depuis le début des années 1960 par le laboratoire Teofarma. Ce médicament est indiqué chez l'adulte et l'enfant de plus de 6 ans dans le traitement symptomatique des manifestations allergiques telles que la rhinite, la conjonctivite ou l'urticaire. Il est à prescription médicale facultative.

Dans un communiqué daté de mars 2023, la Société française de pharmacologie et de thérapeutique (SFPT) a tiré la sonnette d’alarme au sujet de l’usage déviant que connaît cette molécule. La SFTP(2) considère que «le rapport bénéfices/risques de la cyproheptadine devrait être réévalué en vue du retrait de son autorisation de mise sur le marché ou au minimum de son inscription sur une liste à prescription obligatoire».

Faut-il le rappeler, cet antihistaminique a été utilisé en France jusqu’en 1994 dans l’indication «stimulation de l’appétit chez les malades présentant une diminution de l’appétit accompagnée d’une perte de poids». Cette indication a été retirée en raison, entre autres, d’une balance bénéfices/risques qui aurait été mal évaluée.

La cyproheptadine(3) peut favoriser l'apparition d'effets indésirables tels qu'une somnolence, une baisse de la vigilance, une rétention d'urine, une constipation, des palpitations, des hallucinations ou une mydriase. Elle peut également être à l’origine d’effets indésirables plus graves comme des problèmes hépatiques, sanguins, cardiaques, particulièrement en cas de surdosage.

Au Maroc, en dépit de la diffusion d’une circulaire du ministère de la Santé aux professionnels de santé en 2004 pour leur rappeler que l’indication de la cyproheptadine doit être limitée aux seuls cas d’allergie, le mésusage reste particulièrement répandu au Royaume. Les chiffres parlent d’eux même : 13,8 millions de boîtes de cyproheptadine seule ou associée auraient été vendues en 2022, autrement dit les Marocains auraient dépensé quelque 248,5 millions de dirhams rien qu’en produits à base de cyproheptadine seule ou associée. Ces chiffres ne prennent pas en considération les compléments alimentaires utilisés également comme orexigène.

Entre 2004 et 2017, le CAPM(4) (Centre antipoison et pharmacovigilance Maroc) a reçu 734 cas d’intoxications et 28 cas d’effets indésirables avec des médicaments à base de cyproheptadine. Les notifications des cas d’intoxications ont connu une augmentation au cours des dernières années. Le sexe féminin a été concerné dans 62% des cas.

Eu égard à cette situation, et suite à un avis émis en août 2019 par la Commission nationale consultative de pharmacovigilance, la Direction du médicament et de la pharmacie a une fois de plus rappelé aux professionnels de santé la nécessité de respecter les indications de la cyproheptadine. Le CAPM a aussi indiqué que cette molécule peut être à l’origine d’effets indésirables graves gênants et ne doit pas être laissée à la portée des enfants.

Et comme l’obésité représente un facteur de risque avéré de plusieurs maladies chroniques, notamment cardiovasculaires, métaboliques et rénales. La logique voudrait que la promotion de la «vie saine» soit la règle, ce n’est pas le cas chez nous puisqu’on continue à utiliser larga manu les produits orexigènes comme la cyproheptadine.

Pendant que nous mettons sous presse cette chronique, l’usage inapproprié de la cyproheptadine est toujours de mise au Maroc. Il est temps que les autorités sanitaires prennent des mesures efficaces pour mettre fin à ce mésusage dont l’ampleur n’est un secret pour personne. Et de grâce, qu'ils nous évitent une nième circulaire pour rappeler les évidences !

Source : PharmaNEWS