Article N° 7568

GREVE

Le rapport qui a fait déborder la base !

Abderrahim DERRAJI - 26 mars 2023 23:03

Toutes les représentations syndicales des pharmaciens d’officine du Maroc ont rendu public, le 25 mars 2023, un communiqué par lequel elles annoncent une série d’actions revendicatives. Une première grève sans garde aura lieu le 13 avril prochain. Dans le cas où celle-ci ne donnerait pas l'effet escompté, elle sera suivie d’une seconde grève de deux jours dont les dates seront annoncées ultérieurement.

Ces grèves étaient prévisibles eu égard à la situation que vit la profession depuis de nombreuses années.

En effet, privée de ses Conseils de l’Ordre qui n’ont pas renouvelé leurs conseillers conformément au Dahir de 1976, la profession a atteint un degré de dérégulation sans précédent. Cette situation s’est particulièrement aggravée depuis le départ du Pr Anas Doukkali et du Pr Jamal Taoufik, respectivement ministre de la Santé et directeur du Médicament et de la pharmacie. Ces derniers avaient mis sur pied des commissions pour brosser un état des lieux de la profession et élaborer des recommandations pour venir à bout des dysfonctionnements qui l’affectent. Depuis leur départ, on a assisté à une rupture de dialogue entre les pharmaciens et leur tutelle.

Certes, le Décret-loi 1-23-1 édictant des dispositions relatives à l'organisation des élections des Conseils régionaux a été adopté le 16 mars 2023, mais le retard pris pour l'adoption de ce texte de loi a malheureusement privé la profession, quatre années durant, d’un Conseil de l'Ordre pouvant, entre autres, formuler un avis critique au sujet des projets de loi impliquant le pharmacien d’officine.

Mais ce qui a mis en rogne les pharmaciens, c’est la compagne médiatique et injuste dont ils font l'objet depuis la publication du rapport de la Cour des comptes. Les auteurs de ce rapport ont évoqué des marges qui n’ont rien à voir avec celles que perçoivent réellement les pharmaciens. Ces auteurs ont également fait un benchmark entre les marges des pharmaciens marocains et celles des pays de référence, sans prendre en considération la large palette de revenus que les pharmaciens des pays cités perçoivent en plus de la simple marge commerciale.  

Malheureusement, certains journalistes et apparentés n’ont pas pris la peine de vérifier la véracité des deux «marges-chocs» figurant dans le rapport de la Cour des comptes. La couverture médiatique s'est rapidement transformée en une «vindicta» qui a surpris tous les pharmaciens. Et c’est en quelque sorte, la goutte qui a fait déborder le vase.

Pour rappel, du temps où le Pr El Houssaine Louardi occupait le poste de ministre de la Santé, les pharmaciens avaient vécu une situation voisine. La pression dont ils avaient fait l’objet, notamment à travers les médias, les a contraints à abandonner leur marge sur les produits onéreux en échange d’une augmentation de la marge sur les produits dont le prix public de vente est inférieur à 280,60 DH.

Le Décret 2-13-852 du 18 décembre 2013 a été présenté par le Pr El Houssaine Louardi comme la solution miracle qui devait permettre d'améliorer l’accès aux médicaments. Selon ses prévisions, les volumes de vente de médicaments allaient compenser les baisses des prix des médicaments engendrées par la mise en application du Décret de fixation des prix des médicaments.

Dans les faits, l’amélioration de l’accès aux médicaments n’a jamais eu lieu. La consommation moyenne des médicaments a stagné durant les années qui ont suivi la mise en application de ce Décret. Par contre, les baisses des prix des médicaments sont bien réelles et il en est de même pour les baisses des revenus des pharmaciens.

Aujourd’hui, les pharmaciens d’officine refusent de se faire imposer et, d’une manière hasardeuse, un nouveau Décret de fixation des prix des médicaments dont le seul objectif est de ménager les caisses d’assurances maladies, sans tenir compte de la viabilité de la pharmacie d’officine.

À l’instar des pharmaciens exerçant dans les pays voisins, les pharmaciens marocains pourraient se voir confier des missions de santé publique d'autant que dans de nombreuses régions du Maroc la pharmacie constitue le seul espace de santé accessible. Quant à leur rémunération, on ne peut pas envisager de poursuivre le cercle infernal des baisses de prix des médicaments sans prévoir d'autres modes de rémunération. Sans honoraires qui viendraient s'ajouter aux marges commerciales, la pharmacie ne survivra pas aux baisses des prix des médicaments.

Pour conclure, l’administration est aujourd’hui au pied du mur, elle ne peut pas continuer à ignorer une aussi importante profession et lui imposer ses desiderata. Sans signaux forts de sa part, les grèves annoncées pourraient prendre une mauvaise tournure, d’autant plus que les pharmaciens d'officine, qui sont encore sous le choc, n'ont plus rien à perdre !

Source : PharmaNEWS