Article N° 6601

TRAMADOL

Faut-il réhabiliter le Di-Antalvic ?

Abderrahim DERRAJI - 20 janvier 2020 10:12

Bien que l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) se soit opposée à l’arrêt de commercialisation du Di-Antalvic et de ses génériques, l’Agence européenne du médicament (EMA) avait fini par émettre un avis défavorable à leur maintien sur le marché européen. Elle avait motivé sa décision par les dizaines de décès en Angleterre et en Suède par intoxication volontaire ou involontaire par cette association du paracétamol et du dextropropoxyphène indiquée dans la prise en charge de la douleur palier II.

L’argument selon lequel «l’efficacité reconnue par la pratique clinique, les professionnels de santé et les patients utilisant ce médicament de longue date» avancé par l’AFSSAPS, n’avait pas été retenue par l’EMA, d’autant plus que cette Agence avait estimé que l'efficacité de cette association n’a été que peu évaluée par les chercheurs ou les laboratoires qui la commercialisaient.

Pourtant, d’après l’AFSSAPS, quelque 70 millions de boîtes de spécialités contenant du dextropropoxyphène avaient été prescrites en 2008 en France, soit 240 millions de jours de ce traitement.

Le Maroc s’est aligné sur la décision de l’EMA et de l’AFSSAPS ce qui a compliqué la prise en charge de la douleur chez les patients ne répondant pas au paracétamol et à certains anti-inflammatoires, et auxquels le médecin ne peut pas, ou ne veut pas prescrire de la morphine. Faute de Di-Antalvic et de ses génériques, les prescripteurs ont été contraints de se rabattre sur le tramadol qui est devenu l’opioïde le plus consommé, notamment en France.

Mais depuis 2014, cette molécule fait, à son tour, l’objet d’une vigilance accrue de la part des autorités sanitaires françaises. C’est, sans doute, ce qui est à l’origine de la publication, par le ministère des Solidarités et de la Santé (France) de l’arrêté du 13 janvier 2020 fixant la durée de prescription des médicaments à base de tramadol administrés par voie orale. Celle-ci est passée de 12 à 3 mois.

Cette décision a été prise parce que le tramadol est le premier antalgique opioïde cité dans une enquête de 2018 (France) sur les usages problématiques à la fois chez les usagers de drogue, mais également dans la population générale pour le traitement de la douleur. Cette enquête a également mis en exergue une dépendance avec des signes de sevrage survenant même quand le tramadol est utilisé aux doses recommandées et sur une courte période. 

Le tramadol est, par ailleurs, le premier antalgique impliqué dans les décès liés à la prise d’antalgiques, devant la morphine et le deuxième antalgique le plus fréquemment retrouvé sur les ordonnances falsifiées présentées en pharmacie, derrière la codéine.

Probablement, la Commission nationale de pharmacovigilance va finir par ajouter à l’ordre du jour de ses prochaines réunions la problématique du tramadol qui fait également l’objet de mésusage au Maroc. L’étau risque donc de se resserrer autour de ce produit, et comme le paracétamol est de plus en plus diabolisé malgré un rapport bénéfice/risque très favorable, on se demande si on ne finira pas par apprendre aux patients à souffrir en silence !

En tant que professionnels de santé, on peut légitimement nous poser des questions sur la pertinence du retrait définitif du Di-Antalvic et de ses génériques. Avec le recul, on a l’impression que l’EMA avait jeté le bébé avec l’eau du bain. N’aurait-il pas été possible de renforcer les conditions de sa prescription au lieu de nous obliger à passer à une alternative thérapeutique qui semble inquiéter les professionnels de santé ?

Malheureusement, l’affaire Médiator a créé un climat de suspicion qui accule les autorités sanitaires à s’abstenir de prendre toute décision pouvant les exposer aux critiques des médias, des associations de malades et surtout d’influenceurs qui sévissent sur les réseaux sociaux guettant la moindre occasion pour booster leur web audience. On se retrouve aujourd’hui avec des patients qui ne veulent que des médicaments efficaces et sans aucun effet indésirable. Or, avec toute la bonne volonté du monde, on ne peut leur offrir que des médicaments qui ont un bon rapport bénéfice/risque !

Source : PharmaNEWS 520