Article N° 6234

PRIX DU MÉDICAMENT

Décret de fixation des prix des médicaments : De l’enfumage au pot aux roses !

Abderrahim DERRAJI - 06 janvier 2019 22:34

Les cinq derniers bilans comptables effectués par les pharmaciens d’officine, depuis l’entrée en vigueur du Décret 2-13-852 relatif à la fixation des prix des médicaments, ont confirmé le danger que représente sa mise en application sur l’économie de la pharmacie d’officine.

Hypnotisés par les propos rassurants de certains représentants et par une marge de 33,93% sur des produits dont les prix sont aujourd’hui au ras des pâquerettes, les pharmaciens ont sous-estimé le risque qu’allait représenter la mise en place de ce nouveau mode de calcul des prix des médicaments.

Aujourd’hui, des voix s’élèvent pour dénoncer certaines dispositions de ce texte, y compris parmi les pharmaciens qui avaient remué ciel et terre pour que les desiderata du «ministre ami des pharmaciens» soient exhaussés. La situation est devenue aujourd’hui intenable, d’autant plus que la plupart des pharmaciens ne dispensent, ni produits vétérinaires, ni vaccins, ni dispositifs médicaux stériles. Et même les produits dits onéreux, qu’ils ont accepté de dispenser à perte, se perdent aujourd’hui dans les méandres d’un circuit de distribution des médicaments peu maîtrisé.

La stratégie adoptée pour faire accepter ce Décret par les différents intervenants du secteur n’a rien laissé au hasard. Tout d’abord, le bal a été lancé par un tapage médiatique, qui n’a d’égal que le populisme déployé pour remonter les usagers du médicament contre toutes les composantes du secteur. Ensuite, la baisse des prix des médicaments a été présentée comme l’unique levier permettant d’améliorer l’accès aux médicaments. Or cinq ans après la publication de ce texte, la consommation en médicaments continue à stagner. D’après certains experts, elle aurait même baissé ! Quant à l’augmentation des volumes de vente qui aurait dû être induite par la baisse des prix, elle n’a finalement été qu’un appât de plus pour amadouer les pharmaciens ayant émis des réserves à l’égard de ce Décret.

Aujourd’hui, ce texte a été à l’origine de la fermeture de plusieurs pharmacies et ce n’est malheureusement qu’un début. À moyen terme, 30 à 40% de pharmaciens risquent de baisser définitivement leur rideau. Ceci est particulièrement vrai pour les officines des quartiers périurbains ou des zones rurales.

Et comme on s’y attendait, il n’y a pas que les pharmacies qui ont commencé à disparaître, les médicaments à petit prix subissent le même sort. Ceci prouve, une fois de plus, qu’on n’aurait jamais dû sacrifier l’accessibilité à l’autel d’une baisse dont l’impact n’a pas fait l’objet d’évaluation. Conséquence prévisible, des patients sont aujourd’hui obligés de faire venir leurs médicaments de l’étranger, ce qui est de nature à perturber l’observance aux traitements !

Ce décret a également obligé les industriels à baisser les Prix publique de vente des médicaments ayant un prix plus élevé par rapport à celui des pays du benchmark, par contre ils n’ont pas pu faire face au veto opposé par le ministre de la Santé de l’époque. Ce dernier avait catégoriquement refusé d’augmenter les prix d’un grand nombre de spécialités pharmaceutiques pour les aligner sur ceux des pays du benchmark. Et comme un malheur n’arrive jamais seul, le mode de décrochage du médicament générique, les baisses quinquennales et concurrentielles ainsi que le foisonnement des génériques, sans droit de substitution, posent également un réel problème au pharmacien qui, même en multipliant par deux son stock, n’arrive à honorer qu’une ordonnance sur trois !

Une commission se penche actuellement sur ce texte et étudie ses retombées sur la pharmacie. On ose espérer que ses membres arriveront à préparer un vrai plaidoyer pour la mise en place d’un système de fixation des prix des médicaments plus juste et pour l’adoption de rémunérations supplémentaires comme c’est le cas dans de nombreux pays. Ces pharmaciens ne doivent pas perdre de vue la nécessité impérieuse de mettre en place une fiscalité cohérente et adaptée qui prend en considération les spécificités de l’exercice officinal.
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Source : PHARMANEWS