Psychotropes : il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain !
Par Abderrahim Derraji, Docteur en pharmacie
Un Projet de Décision émanant du ministère de la Santé relatif aux modalités de prescription et de dispensations des médicaments à base de substances psychotropes à usage humain a été transmis pour avis aux instances ordinales.
Par une telle Décision, qui est déjà en vigueur en France et en Tunisie, l’administration a répondu favorablement à une ancienne doléance formulée par les pharmaciens dont l’objectif est double : D’une part, contrecarrer les fausses prescriptions dont l’authentification devient de plus en plus compliquée et, d’autre part, le patient aura la garantie de pouvoir s’approvisionner en médicaments psychotropes y compris quand il franchit le seuil d’une pharmacie où il n’a pas l’habitude de se rendre. Ceci est particulièrement vrai pendant les des gardes.
À la lecture de cette Décision, on se rend compte que certains aspects pratiques de l’exercice officinal n’ont pas été pris en considération. Par exemple, cette Décision impose à ce que la commande des produits concernés par cette mesure soit faite séparément avec un bon de commande à part. Or les pharmaciens n’utilisent les bons de commande que pour les marchés (commandes effectuées directement au laboratoire). La majeure partie des commandes est transmise aux grossisteries par téléphone ou par télétransmission. Cette Décision aurait pu, tout simplement, prévoir des bons de livraison facilement identifiables en jouant sur la couleur du bon ou en y ajoutant la mention «Produit(s) nécessitant une ordonnance sécurisée» en caractère gras.
Les industriels pourraient également être mis à contribution en étudiant la faisabilité de prévoir un pictogramme permettant au pharmacien et à ses collaborateurs de ne pas passer à côté d’un psychotrope nécessitant une ordonnance sécurisée.
Mais en réalité, ce qui va être l’élément déterminant dans la mise en application de cette Décision, c’est le choix des médicaments concernés par l’ordonnance sécurisée. Si on y met toutes les substances psychoactives, on va compliquer l'accès à un très grand nombre de spécialités pharmaceutiques qui ne font l’objet d’aucun usage déviant connu, comme c'est le cas des antidépresseurs, des antipsychotiques ou encore des antiépileptiques. Ces médicaments appartiennent déjà au Tableau A ou C ce qui impose au malade d'avoir une prescription en bonne et due forme.
Faut-il le rappeler, le Maroc est signataire de la Convention de Vienne qui prévoit, entre autres, des tableaux comportant les seules molécules qui doivent faire l’objet de suivi par tous les pays signataires de ladite convention. En ce qui concerne les molécules qui transitent par le circuit pharmaceutique, on y trouve des stupéfiants et des molécules classées dans 4 tableaux. Ces molécules peuvent potentiellement faire l’objet d’un usage abusif comme les benzodiazépines ou certains morphiniques. On y trouve également une liste de principes actifs qui appartiennent au Tableau B. Ces molécules font déjà l’objet de mesures restrictives drastiques au Maroc.
Il est à noter que certaines molécules comme le zolpiden ont intégré le Tableau IV de la convention de Vienne après que leur usage déviant ait été constaté. D’autres molécules vont probablement faire partie ces tableaux lors des prochaines mises à jour. Ça pourrait être le cas de la prégabaline qui est très prisée par les trafiquants et particulièrement dans les pays du Maghreb. La logique voudrait que la liste des médicaments nécessitant une ordonnance sécurisée se limite aux médicaments figurant dans la Convention de Vienne auxquels il faut ajouter les quelques molécules qui font l’objet d’un usage abusif avéré et qui ne figurent pas encore sur cette Convention.
Une fois cette liste établie, elle doit être mise à la disposition des pharmaciens. Pour faciliter l’accès à cette liste et à ses mises à jour, le ministère de la Santé devrait la mettre en ligne, comme il devrait mettre en ligne les références des ordonnances sécurisées en cas de vol de celles-ci.
Par ailleurs, on pourrait également exiger de nos confrères médecins de rédiger les noms des spécialités prescrites sur une ordonnance sécurisée lisiblement et en lettres majuscules pour garantir au malade d’avoir son traitement et pour éviter les éventuelles erreurs.
Pour conclure, on ne peut que se féliciter de cette Décision. Mais aussi parfaite soit-elle, on risque d’avoir des surprises le jour où on va la mettre en pratique. D’où la nécessité de l’évaluer régulièrement en impliquant les pharmaciens, tous secteurs confondus (officine, répartition et l'industrie), ainsi que les psychiatres. En faisant de la sorte, on permettra aux patients d’avoir plus facilement leurs psychotropes et on évitera que cette Décision devienne une tracasserie administrative supplémentaire pouvant hypothéquer l’accès à certains médicaments indispensables.
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