Article N° 8226

ERREUR MÉDICALE

Erreur médicale : Quand une virgule tue !

Abderrahim Derraji - 16 novembre 2025 19:45
Il suffit parfois d’une minuscule inattention pour qu’un acte de soin bascule dans l’irréparable. Aux États-Unis[1], en mars 2024, un enfant de deux ans est décédé à la suite d’une erreur de prescription d’une simplicité effrayante : une virgule mal placée, un dosage multiplié par dix, et une overdose de potassium qui a anéanti toute chance de survie. L’affaire, révélée par plusieurs médias américains dont le New York Post[2], rappelle avec brutalité que l’erreur médicale n’est jamais un concept abstrait. Elle porte un prénom, un visage et une histoire interrompue.

Le petit garçon avait été hospitalisé pour une infection virale. Amaigri, dénutri, présentant un taux dangereusement bas de potassium, il avait été transféré dans un second hôpital afin de recevoir un traitement plus adapté. Rien, jusque-là, ne présageait le drame. Mais dès le lendemain, le renouvellement de la prescription scelle son destin. Au lieu des 1,5 mmol de potassium calculés en fonction de son poids et de son état clinique, le médecin prescrit 15 mmol. Dix fois plus. Et cette erreur, qui aurait dû être rattrapée par un contrôle croisé, a été faite deux fois. L’enfant fait un arrêt cardiaque. Il est réanimé après vingt longues minutes, mais le mal est fait : ses organes vitaux sont gravement atteints et les complications s’enchaînent. Après deux semaines de soins intensifs, le respirateur qui le maintenait en vie est débranché. Sa mère, brisée, dénonce une «énorme négligence», quant à son avocat il insiste sur le caractère «entièrement évitable» de cette mort.

Ce mot, évitable, résonne comme une accusation adressée non pas au médecin responsable de cet accident, mais à un système entier. Car ce cas n’est pas isolé. Depuis des années, la littérature scientifique pointe du doigt l’ampleur des erreurs médicales pédiatriques. Une étude de référence publiée dans Pediatrics[3] en 2004 estimait déjà que 4 500 enfants mouraient chaque année aux États-Unis des suites d’erreurs médicales hospitalières. Ces décès découlent de causes bien identifiées : erreurs de dosage, confusion entre médicaments, protocoles non respecté, diagnostics tardifs ou erronés.

La vulnérabilité particulière des enfants renforce ces risques. Les posologies doivent être ajustées à la taille et au poids, les marges d’erreur sont infimes et les formulations pédiatriques se prêtent davantage aux confusions. Une revue d’études publiée sur PubMed[4,5] rapporte que 1 à 11 % des hospitalisations pédiatriques donnent lieu à un événement indésirable lié aux soins.  

Les erreurs de diagnostic sont tout aussi préoccupantes. Une enquête internationale publiée dans Frontiers in Pediatrics [6] indique que 15 à 77 % des pédiatres affirment commettre au moins une erreur de diagnostic par mois, et 45 % reconnaissent avoir causé un tort direct à un enfant au moins une fois par an en raison d’un diagnostic inexact ou tardif.

Ces données ne montrent pas des soignants incompétents, mais des professionnels plongés dans un environnement qui multiplie les risques : surcharge de travail, interruptions permanentes, outils informatiques inadaptés, procédures hétérogènes. L’erreur n’est pas seulement humaine ; elle est systémique.

Réduire ces erreurs exige d’abord de sécuriser les prescriptions par l’utilisation généralisée de logiciels d’aide à la décision, de systèmes d’alerte sur les doses, d’une interdiction des notations ambiguës, et d’un double contrôle obligatoire pour les médicaments à haut risque. La standardisation des pratiques, notamment en pédiatrie, avec des doses pré-calculées selon le poids ou des seringues préremplies, constitue un autre levier majeur. À cela doit s’ajouter la formation continue des équipes sur les risques spécifiques aux enfants, la réduction de la surcharge de travail qui favorise la fatigue et l’erreur, ainsi que le développement d’une culture du signalement où chaque incident devient une source d’apprentissage collectif.

Ce drame aurait pu être évité. Mais il peut encore servir. Si chaque erreur évitable devient une leçon, alors peut-être qu’une virgule oubliée ne sera plus jamais capable de voler une vie.
 
 
Sources
1. 20 Minutes. États-Unis : Le médecin “oublie” une virgule, un enfant meurt d’une surdose de médicament. 14 novembre 2025.
https://www.20minutes.fr/monde/4185605-20251114-etats-unis-medecin-oublie-virgule-enfant-meurt-surdose-medicament
 
2. New York Post. Article original cité par 20 Minutes sur le cas de l’enfant décédé d’une surdose de potassium.
 
3. Woods, D. et al. Annual deaths due to medical errors in hospitalized children. Pediatrics, 2004.
PMC article retraçant l’estimation d’environ 4 500 décès annuels liés aux erreurs médicales chez les enfants.
 
4. Classen, D. et al. Études sur les événements indésirables pédiatriques (1 % à 11 % des admissions). PubMed.
 
5. Rothschild, J. et al. Études sur l’iatrogénie en réanimation néonatale (jusqu’à 74 événements graves pour 100 admissions). PubMed.
 
6. Singh, H. et al. Diagnostic Errors in Pediatric Practice. Frontiers in Pediatrics. Étude montrant 15–77 % d’erreurs diagnostiques mensuelles déclarées par les pédiatres et 45 % d’erreurs nuisibles annuelles.

Source : PharmaNEWS