Article N° 8216

INNOVATION - NOBBBA

Innovation : la bourse ou la vie !

Abderrahim Derraji - 26 octobre 2025 18:00
Le Sénat américain examine actuellement le projet de loi «No Big Blockbuster Bailouts Act» (NOBBBA), porté par les sénateurs Ron Wyden, Peter Welch et Catherine Cortez Masto[1]. Cette loi vise à empêcher les laboratoires pharmaceutiques de contourner les négociations de prix prévues par le programme fédéral Medicare, notamment pour les traitements générant un chiffre d’affaires de plusieurs milliards de dollars par an. Le Congressional Budget Office estime que ce «bailout» potentiel pourrait coûter 8,8 milliards de dollars aux contribuables américains sur dix ans.
 
Derrière ces chiffres se cache une question cruciale : qui doit supporter le coût de l’innovation thérapeutique?
 
Selon une étude du Tufts Center for the Study of Drug Development, le coût « capitalisé » moyen pour développer et obtenir l’autorisation d’un nouveau médicament est estimé à environ 2,56 à 2,6 milliards de 
dollars [2]. Les nouvelles thérapies, notamment en cancérologie, dans les maladies rares ou dans le domaine des thérapies géniques, atteignent désormais des niveaux inédits, comme c’est le cas pour Zolgensma, un traitement devenu emblématique des dérives tarifaires liées à l’innovation. Ce médicament, indiqué dans le traitement de l’amyotrophie spinale, est commercialisé au prix de 2,44 millions de dollars.
 
Les pouvoirs publics cherchent à freiner cette inflation pour préserver la soutenabilité des systèmes de santé. Mais la régulation du prix du médicament peine encore à trouver le juste équilibre entre encourager la recherche et garantir l’accès aux traitements. En Europe, les négociations sont déjà plus strictes, mais les tensions demeurent. En France, selon le rapport de la Cour des comptes («Le bon usage des produits de santé», sept. 2025), les dépenses de médicaments en établissements de santé ont augmenté en moyenne de 11,2 % par an au cours des cinq dernières années[3]. Dans plusieurs pays européens, les retards d’accès aux nouvelles thérapies peuvent atteindre 12 à 24 mois par rapport aux États-Unis, faute d’accords économiques rapides.
 
Pour les pharmaciens d’officine, cette problématique se traduit chaque jour par des prescriptions non délivrées, des renoncements de patients et des incompréhensions face à des traitements inabordables. Maillon final de la chaîne du médicament, le pharmacien devient souvent témoin impuissant des effets concrets des politiques de fixation des prix. 
Pourtant, lorsqu’il est pleinement impliqué, il demeure un acteur clé de la régulation réelle : celui qui explique, substitue ou oriente vers des solutions adaptées. Dans les pays où la rémunération du pharmacien dépend exclusivement du prix public, les baisses tarifaires répétées fragilisent la viabilité économique des officines.
 
Au Maroc, les pharmaciens ont payé un lourd tribut au décret n° 2-13-852 relatif aux conditions et modalités de fixation du prix public de vente des médicaments fabriqués localement ou importés. Ce texte a été adopté en 2013 et mis en application en 2014. La situation risque de s’aggraver si le projet de révision des prix actuellement à l’étude est adopté sans prendre en compte les doléances de la profession. Quant aux médicaments innovants, souvent peu ou pas rentables pour les pharmaciens, ils bénéficient principalement à d’autres circuits de distribution. Et bien que d’importants efforts aient été déployés pour améliorer l’accès aux traitements, notamment en oncologie, de nombreux patients restent dans l’incapacité d’accéder à certains traitements hors de prix, particulièrement quand ils ne sont pas remboursés par les caisses d’assurance maladie.
 
La question du prix réel du progrès thérapeutique se pose avec d’autant plus d’acuité que les ressources publiques sont limitées. Les anticorps monoclonaux, les biothérapies et les traitements des maladies rares 
représentent un fardeau croissant pour les organismes payeurs. Ces traitements, souvent confinés aux hôpitaux de référence ou à certaines cliniques privées, affichent des coûts dépassant parfois 10 000 dirhams par mois pour certaines pathologies chroniques, alors que la dépense moyenne annuelle en médicaments par habitant n’excède pas 600 dirhams.
 
Ainsi, le débat américain autour du NOBBBA dépasse largement Washington. Il interroge la soutenabilité globale du progrès médical et la place que chaque société accorde à l’équité dans l’accès aux soins. Les pharmaciens, qu’ils exercent à New York, Paris ou Casablanca, se trouvent au cœur de cette tension entre innovation et accessibilité.

Dans un monde où chaque molécule nouvelle devient à la fois symbole de puissance économique et porteur d’espoir, il devient urgent de redéfinir un modèle plus équilibré, où le droit à l’innovation ne se fasse jamais au détriment du droit à la santé.
 
Sources : 
 
 
 

Source : PharmaNews