Article N° 8115

RÉMUNÉRATION DES PHARMACIENS

Économies sur ordonnance : attention au surdosage !

Abderrahim Derraji - 05 juin 2025 12:18

Un document intitulé «Revue de la stratégie nationale de tarification des médicaments» circule abondamment sur les réseaux sociaux. Déjà fragilisés économiquement, les pharmaciens d’officine redoutent de nouvelles baisses de prix qui viendraient, une fois de plus, amputer des revenus déjà sous pression.

Souvenons-nous : en 2013, le décret n° 2-13-852 du18 décembre 2013, relatif aux conditions et modalités de fixation du prix public de vente des médicaments fabriqués localement ou importés, promettait un triptyque gagnant : prix plus bas, consommation accrue de médicaments et équilibre financier des caisses. Six ans plus tard, la consommation n’a pas bougé ; il a fallu attendre la pandémie de Covid-19 et la généralisation de l’AMO pour voir la consommation de médicaments repartir à la hausse, ce qui inquiète aujourd’hui les gestionnaires des caisses.

Le rapport précité indique qu’il faut comprimer les dépenses, mais reconnaît cependant que les pharmacies marocaines, déjà fragiles, doivent être préservées. Le pays compte une pharmacie pour 2 800 habitants, bien en-deçà de la norme OMS (une pour 5 000). Par ailleurs, 63 % des médicaments les plus coûteux pour la CNSS ne rapportent qu’un forfait dérisoire aux pharmaciens.

Dans ces conditions, chaque baisse de prix des tranches T1[1] et T2[2] s’accompagnera inéluctablement d’une diminution des revenus des pharmaciens d’officine.

En réalité, ce ne sont pas les baisses de prix des médicaments que les pharmaciens contestent ; c’est l’érosion inexorable de leur rémunération, faute d’honoraires pour les actes de dispensation, de prévention, de dépistage, de suivi des maladies chroniques ou pour le droit de substitution, etc. L’Europe l’a compris : la Belgique accorde une marge économique de 18,6 %, et le Royaume-Uni, de 4,7 %, mais compense par des honoraires de service. Résultat : les prix restent compétitifs et les pharmacies demeurent un pilier de santé publique.

Avant toute réforme tarifaire, une approche systémique s’impose. Autorités, industriels, répartiteurs, pharmaciens, médecins, patients et chercheurs doivent élaborer ensemble des solutions pérennes.

Il faut davantage de transparence en permettant à tous les intervenants d’avoir accès aux données. Il convient également de mettre en place des plateformes de concertation, d’écouter les retours du terrain et d’encadrer les associations de patients. C’est ainsi que l’on garantira un accès équitable, sécurisé et durable aux traitements.

Rappelons-le : pendant la pandémie, l’industrie pharmaceutique, les grossistes-répartiteurs et le réseau de proximité des pharmacies ont tenu la ligne de front. Les affaiblir, c’est fragiliser l’ensemble de la chaîne et menacer l’objectif même de la couverture universelle. Le pharmacien est plus qu’un vendeur : il éduque, dépiste, lutte contre le mésusage, peut même vacciner, et reste souvent le seul professionnel de santé accessible dans les zones sous-médicalisées. Le renforcer, c’est investir dans un système plus humain et plus efficace.

Baisser les prix ? Oui, mais pas au détriment de l'équilibre économique et financier des pharmacies. Toute réforme doit préserver la viabilité économique de la pharmacie, sans quoi l’AMO fera quelques maigres économies en perdant un maillon vital de la santé publique.

[1] Tranche 1 : Prix Public de vente (TTC) < 280.60 DH

[2] Tranche 2 : 280.60 DH < Prix Public de vente (TTC) < 962.70 DH

Source : PharmaNEWS