Article N° 7625
ANTALGIQUES ET MESUSAGE
Quand les antalgiques donnent mal à la tête !
Abderrahim Derraji - 25 juin 2023 23:09De nombreux pharmaciens ont été surpris de constater qu’un médicament associant paracétamol et codéine est passé, du jour au lendemain, du statut de médicament à prescription facultative à celui de produit appartenant au tableau A (liste I), sachant que ses équivalents font partie de de ce tableau depuis leur mise sur le marché.
Cette spécialité pharmaceutique est indiquée dans la prise en charge des douleurs aiguës d’intensité modérée chez les patients âgés de plus de 15 ans, et ne pouvant pas être soulagées par d’autres antalgiques ne contenant que le paracétamol ou l’ibuprofène seul.
Cette association était utilisée généralement en conseil pharmaceutique ou sur prescription médicale. Sa consommation a connu une augmentation importante en raison du retrait du marché du Di-Antalvic et de ses génériques et en raison du mésusage que connaissent les spécialités contenant du tramadol, appelé aussi cocaïne du pauvre.
Dans ces conditions, un médicament associant paracétamol et codéine, et qui plus est à prescription facultative, trouve pleinement sa place dans la prise en charge de certaines douleurs. Mais le changement de statut de ce produit est de nature à tout remettre en question, même si les professionnels de santé ne sont pas tous au courant.
La plupart des pharmaciens et leurs aides ont constaté que cette association vient de changer d’emballage secondaire. Par contre, rares sont ceux qui se sont rendu compte que le nouvel emballage comporte une lisière rouge caractéristique des médicaments appartenant au tableau A ainsi qu’une bande rouge sur laquelle est inscrit la mention «Respecter la dose prescrite».
Ce qui complique la situation, c’est que ce médicament contient de la codéine qui peut potentiellement être détournée de son utilisation.
En effet, la codéine est métabolisée en morphine par l'enzyme hépatique CYP2D6. En cas de déficit ou d’absence de cette enzyme, l’effet analgésique attendu sera compromis. Ce déficit peut atteindre 7% de la population caucasienne.
Cependant, si le patient est un métaboliseur rapide ou ultra-rapide, il a un risque augmenté, même à dose thérapeutique, de développer des effets indésirables dus à la toxicité des opioïdes. Ces patients transforment la codéine en morphine rapidement, en conséquence leur taux de morphine dans le sérum est plus élevé que le taux observé habituellement chez les malades.
L'utilisation régulière ou prolongée de la codéine peut entraîner une dépendance psychologique et physique. Des cas d'abus et de dépendance ont été rapportés avec cette molécule, en particulier chez l'adulte et le jeune adulte, mais également chez les adolescents qui l'utilisent à des fins récréatives. Cette molécule est également prisée par les patients ayant des antécédents d'abus et/ou une dépendance à alcool, à certains médicaments comme les benzodiazépines, ainsi qu’à d’autres substances.
Les symptômes généraux de la toxicité des opioïdes incluent une confusion, une somnolence, une respiration superficielle, un myosis, des nausées, des vomissements, une constipation et un manque d’appétit. Dans les cas graves, les patients peuvent présenter des symptômes de dépression respiratoire et circulatoire, pouvant mettre en jeu le pronostic vital et être dans de très rares cas fatals.
Cette situation et la psychose qui l'accompagne compromettent l’accès aux traitements analgésiques et pénalisent les malades, sachant que l’accès à la morphine n’est pas chose aisée au Maroc, y compris pour certains patients en fin de vie.
Les mésusages que connaissent la codéine et le tramadol vont entraîner de plus en plus de méfiance chez les professionnels de santé d'autant plus qu’un confrère est actuellement privé de liberté pour une dispensation non conforme de médicaments à base de tramadol.
Aussi et pour ne pas priver nos malades de traitements essentiels, il est temps de charger un groupe de travail associant des professionnels de santé de se pencher sur cette problématique et élaborer des recommandations avec comme finalité : sécuriser la dispensation de ces traitements sans compromettre leur accessibilité.
Source : PHARMANEWS 693