Article N° 7552

Officine Expo 2023

Officine Expo 2023 : Cannabis, «One world One Health», communication et développent de la profession, «et pas que» !

Abderrahim DERRAJI - 28 février 2023 16:52

Le rideau vient de tomber sur le salon Officine Expo qui s’est tenu les 24 et 25 février au Palais des Congrès Mansour Eddahbi à Marrakech.

La première session de ce conclave, qui en est à sa 20e édition, a été dédiée au cannabis thérapeutique, un sujet d’actualité particulièrement depuis l’adoption de la loi n° 13-21 et ses textes d'application.

Les différentes présentations prévues à ce sujet par le comité d’organisation ont permis de mieux connaître cette plante utilisée depuis 2737 ans avant Jésus-Christ. Le cannabis connu davantage pour son usage «récréatif» peut dans certaines pathologies constituer une alternative thérapeutique qui a fait ses preuves dans de nombreux pays.

M. Mohamed El Guerrouj, gouverneur et directeur général par intérim de l’ANRAC (Agence nationale de réglementation des activités liées au Cannabis), a rappelé que le Royaume s’est doté en juin 2021 de la loi n° 13-21 relative aux usages licites du cannabis.  Le décret n° 2-22-159 du 15 chaabane 1443 (18 mars 2022) pris en application de la loi n° 13-21 a également été publié le 31 mars 2022.

Ce nouveau cadre juridique limite les zones où peut être cultivé et produit le cannabis aux provinces d’Al Hoceïma, Chefchaouen et Taounate. Seuls les agriculteurs de ces trois régions peuvent produire le cannabis en se conformant à un cahier de charge bien défini.

Les activités autorisées sont la culture et la production du cannabis, la création et l’exploitation de pépinières de cannabis, l’exportation des semences et des plants du cannabis, l’importation des semences et des plants du cannabis, la transformation et la fabrication du cannabis, le transport du cannabis et de ses produits, la commercialisation du cannabis et de ses produits, l’exportation du cannabis et de ses produits et l’importation des produits du cannabis.

Et comme l’a indiqué Dr Laylae Sentissi, directrice exécutive de la FMIIP (Fédération marocaine de l’industrie et de l’innovation pharmaceutiques), ce nouveau cadre légal «permet le développement des filières du cannabis médical et industriel dans le respect des engagements internationaux du Royaume. Il permet également de mettre en place l’Agence nationale de réglementation des activités relatives au cannabis (ANRAC)».

Cette nouvelle loi est considérée comme une véritable opportunité pour le développement des investissements liés au cannabis. Elle pourrait également contribuer à améliorer les conditions de vie de la population engagée dans sa culture.

Le marché mondial des activités exploitant le cannabis est estimé à environ 20 milliards de dollars, avec des taux de croissance pouvant atteindre 20 à 30% pour les années à venir.

D’après le rapport de l’UNODC (Office On Drugs and Crime), le Maroc produit 700 tonnes de chanvre par an, ce qui le classe parmi les plus grands pays producteurs de cette plante.

Selon les chiffres présentés par Dr Sentissi, l’usage médical du cannabis pourrait générer, à lui seul, un revenu annuel estimé à 4,2 milliards. Ce chiffre pourrait atteindre 6,3 milliards d’ici 2028 si le Royaume parvenait à atteindre 10 à 15% du marché européen.

Comme l’a indiqué M. Mohamed Guerrouj, l’ANRAC est chargée de la mise en œuvre de la loi relative aux usages licites du cannabis. Elle a comme prérogative de mettre en application la stratégie de l’État marocain dans le domaine de la culture, la production, la fabrication, la transformation, la commercialisation, l’exportation du cannabis et l’importation de ses produits à des fins médicales, pharmaceutiques et industrielles. L’Agence est également chargée de réglementer et d’assurer le suivi et le contrôle de l’ensemble des opérations relatives au cannabis et à ses usages licites.

Par ailleurs, l’ANRAC a la délicate mission de veiller à ce que des usages illicites ne viennent pas perturber le circuit licite et compromettre, de ce fait, les engagements internationaux du Maroc.

Lors de cette session, cinq brillants orateurs se sont relayés pour séparer le bon grain de l’ivraie et contribuer à mieux connaître le cannabis et les aires thérapeutiques où son rapport bénéfices/risques peut s’avérer intéressant.

D’autres tables rondes intéressantes ont également été programmées lors de ce salon, notamment la table ronde «One world, One health» qui a mis en exergue notre vulnérabilité vis-à-vis de notre environnement et des maladies émergentes liées au changement de notre mode de vie ou pouvant se transmettre de l’animal à l’Homme. La pandémie Covid-19 et la fièvre hémorragique à virus Ebola constituent deux exemples qui ont donné du fil à retordre aussi bien à la communauté scientifique qu’aux décideurs politiques.

L’environnement, qui a payé un lourd tribut à notre insouciance, nous impose aujourd’hui d’opérer un changement radical dans nos comportements en intégrant des concepts qui préconisent d’intégrer la santé humaine à son environnement comme c’est le cas pour le concept «One world, One health».

La mise en veilleuse de certains Objectifs du développement durable explique, en partie, les dérives auxquelles nous assistons. À titre d’exemple, l’utilisation larga manu des antimicrobiens chez les éleveurs de certains pays constitue un des facteurs qui ont contribué à l’émergence de germes mutirésistants.

Comme l’a rappelé le Pr Najia Hajjaj Hassouni, qui figure parmi les panélistes de la table ronde «One world, one health», les changements globaux liés à l’activité humaine constituent des menaces sanitaires et modifient les interactions entre les humains, les animaux et leur environnement. Cela devrait nous inciter à adopter des approches intégrées en santé en nous appuyant sur la science dans la gouvernance des sociétés, sachant que pour obtenir une réponse globale, on ne peut faire l’économie d’une coopération internationale.


Concrètement, on devrait adopter plus de vigilance vis-à-vis des maladies infectieuses émergentes, lutter efficacement contre la résistance aux anti-infectieux, surveiller étroitement toute perturbation pouvant favoriser l’émergence de nouvelles maladies infectieuses ou non infectieuses et aborder la santé humaine à travers ses multiples déterminants et à partir d’approches systémiques.

Dr Raymonde Goudou Coffie, ministre gouverneure du District autonome des Lacs depuis le 18 juin 2021 et ancienne ministre de la Santé de la Côte d’Ivoire, a rappelé l’expérience de son pays qui a eu à faire face à la fièvre hémorragique à virus Ebola. Cette maladie a révélé au grand jour l’importance de la collaboration entre les différents départements d’un même pays pour faire face aux épidémies.

Le Dr Horacio Arruda, sous ministre adjoint à la Santé du Québec chargé de la prévention, promotion, planification et protection en Santé publique, a de son côté mis en avant l’approche adoptée par le gouvernement du Québec pour faire face à ces grands bouleversements.

En effet, le gouvernement de cette province a décidé d’aborder la santé en s’appuyant sur une approche sociétale intersectorielle et holistique nécessitant une interdisciplinarité et un véritable partenariat entre les différents intervenants. Cette approche est essentielle pour lutter efficacement contre les maladies chroniques comme le diabète de type II dont la prise en charge constitue un vrai défi, sachant que la santé accapare 50% du Budget du Québec.

La mise en application de l’approche adoptée par le Québec s’est traduite sur le terrain par l’intégration de la santé dans toutes les politiques. Dans cette stratégie, la concertation a joué un grand rôle en permettant d’optimiser la collaboration entre les différents intervenants.

Selon cet expert québécois, le changement climatique, les zoonoses, l’émergence des maladies infectieuses, la résistance aux antibiotiques, la pollution et les perturbations de la biodiversité sont autant de problématiques qui nécessitent un traitement à l’échelle locale, régionale et mondiale.

Le Dr Horacio Arruda a conclu son intervention en insistant sur la nécessité de mettre en place des mécanismes garantissant une étroite collaboration entre les professionnels de santé ainsi que des approches à même de réduire les disparités existantes entre les pays, et même au sein d’un même pays.

Le Dr Jâafar Heikel, épidémiologiste, professeur de médecine préventive, a abordé l’impact d’une approche cloisonnée sur l’économie de santé. Ce spécialiste des maladies infectieuses et économiste de la santé a rappelé que l’Homme n’est pas à l’abri d’autres épidémies et pandémies et de leur impact sur l’économie.

La Covid-19, par exemple, a impacté la prise en charge des maladies chroniques et a entraîné des pertes économiques qui pourraient atteindre 9.000 milliards de dollars.

Le Pr Jâafar Heikel a rappelé à l’assistance que des réflexions ont été menées au Maroc au sujet du «One World, one health», approche qui reste tributaire de l’implication de tous les intervenants.

D’après cet épidémiologiste, l’efficacité des modèles type «One World, one Health» ne laisse aucun doute à condition de réussir leur déploiement. Plus on tarde à mettre en place les outils de contrôle, plus l’addition sera salée.

Le Pr Heikel a conclu sa présentation en exhortant les experts à mettre à la disposition des politiques les données leur permettant de prendre les décisions les plus pertinentes. Faute de quoi, l’approche «ne rien faire», risque de coûter trop cher aux États et à l’humanité.

Comme il est de coutume, les organisateurs de cette messe de la pharmacie ont prévu une table ronde dédiée à l’évolution que connaît la profession pharmaceutique à travers le monde. Et cette fois-ci, le comité scientifique a choisi comme thématique «La communication : une expertise nécessaire au développement de la profession».

Pour animer cette table ronde, le comité d’organisation a fait appel à des experts qui ont mis en avant l’importance de mener des études pour évaluer l’apport des pharmaciens en tant qu’acteur de premier recours. Ces études sont nécessaires pour anticiper l’évolution de l’exercice officinal qui doit s’adapter en permanence aux besoins des patients.

Les organismes professionnels doivent s’investir davantage dans la communication, comme c’est le cas en Suisse, pays où la société faîtière PharmaSuisse multiplie les initiatives qui favorisent, entre autres, l’interprofessionalité comme moyen permettant de garantir des soins adéquats particulièrement aux populations n'ayant pas accès aux soins par manque de ressources humaines.

Dr Martine Ruggli, présidente actuelle de PharmaSuisse, a indiqué que les pharmaciens suisses peuvent vacciner depuis 2018. Ils prennent aussi en charge les cystites en s’aidant d’algorithme. Et depuis 2019, ils sont devenus prescripteurs.

Durant la pandémie Covid-19, les pharmaciens suisses ont joué un grand rôle en vaccinant les populations et en dépistant le Sars-CoV-2.
Dr Dominique Jordan, actuel président de la Fédération internationale de la pharmacie et past president de PharmaSuisse, a exhorté les pharmaciens et leurs instances à générer des données
pour mettre en évidence l’apport des nouvelles missions dans le système de santé. Ces missions doivent être pertinentes et génératrices de revenus.

Le Dr Dominique Jordan a également rappelé le rôle que peut jouer la FIP pour développer la pharmacie. Celle-ci peut, par exemple, mettre à la disposition des organismes membres des outils pour les faire profiter des expériences menées dans d’autres pays. De leur côté, les structures-membres de la FIP devraient, à leur tour, partager avec la FIP leurs données pour établir des cartographies qui peuvent s'avérer essentielles pour préparer des plaidoyers pour faire évoluer la profession.

Le président de la FIP a insisté sur l’importance de la formation et de la qualité des services assurés en officine. Ces deux éléments constituent des prérequis essentiels pour mettre en place l’interprofessionalité.

Le Dr Jordan a conclu sa présentation par une note optimiste en soutenant que le 21e siècle sera «Le siècle de la pharmacie» !

Les pharmaciens maghrébins qui continuent à compter les coups auraient bien voulu partager l’optimisme du président de la FIP, mais la réalité de l’exercice est toute autre. Charge à eux d’optimiser le fonctionnement des instances qui les représentent. Celles-ci devraient s’inspirer de structure comme PharmaSuisse qui n’hésite pas à entreprendre des initiatives pour faire connaître le rôle du pharmacien et pour faire évoluer son métier.

Les organisateurs de la 20e édition d’Officine Expo ont prévu d’autres thèmes très intéressants qui rentrent dans le cadre de la formation continue des pharmaciens et des thèmes dédiés à l’industrie pharmaceutique et à l’apport de la digitalisation dans le secteur du médicament et de la santé.

Une fois de plus, on ne peut que féliciter les organisateurs pour la qualité de la programmation et pour l’organisation exceptionnelle.

Source : Pharmanews