Article N° 6314

BIOEQUIVALENCE

Études de bioéquivalence : bientôt un bouc émissaire en moins !

Abderrahim DERRAJI, docteur en pharmacie - 31 mars 2019 23:33

La Direction du médicament et de la pharmacie a organisé, les 28 et 29 mars, un séminaire sur le thème «Bioéquivalence : nouvelles dispositions réglementaires, lignes directrices internationales, défis et opportunités».

Cette rencontre, qui a eu lieu à Rabat en présence d’experts marocains et jordaniens, coïncide avec la publication du décret n° 2.17.429 du 23 joumada II 1440 (1er mars 2019) modifiant et complétant le décret n° 2-12-198 du 21 rejeb 1433 (12 juin 2012) relatif à la bioéquivalence des médicaments génériques. Ces deux textes de loi rendent effectif l’alinéa 4 de l’article 8 de la Loi 17-04 portant Code du médicament et de la pharmacie qui conditionne l’obtention de l’Autorisation de mise sur le marché (AMM) d’un médicament générique par la réalisation des études de bioéquivalence.

Lors de ce séminaire très attendu par les opérateurs du secteur du médicament, le Pr Jamal Taoufik, directeur du médicament et de la pharmacie, a rappelé que cette initiative s’inscrit dans le cadre d’une série de réunions dont l’objectif est d’accompagner les producteurs de médicaments génériques à se conformer à la loi.

La mise en place de ces études de bioéquivalence devrait, en principe, reléguer aux oubliettes les suspicions qui planent au sujet des génériques. Celles-ci expliquent en partie les réticences de certains médecins à les prescrire. Ces études constituent une des trois mesures phares que prévoit l’Objectif 5 de la Politique pharmaceutique nationale (PPN) pour promouvoir le médicament générique au Maroc. Cet Objectif prévoit aussi le renforcement de l’information et de la sensibilisation sur l’usage des génériques auprès des professionnels de santé et des citoyens, ainsi que la mise en place du droit de substitution.

Cette dernière disposition, rendue envisageable grâce à la bioéquivalence, n’est en réalité qu’un retour à la normale. Dans la plupart des pays, les pharmaciens ont déjà le droit de substitution quand le médecin ne prescrit pas en dénomination commune internationale (DCI). Et même dans les nations comme le Canada où ce droit n’est pas de mise, la Loi 41, qui est entrée en vigueur le 20 juin 2015, autorise le pharmacien communautaire, entre autres, à «Substituer au médicament prescrit, lors de rupture complète d’approvisionnement au Québec, un autre médicament de même sous-classe thérapeutique». La mise en application d’une mesure similaire au Maroc aurait pu éviter au pharmacien de ne pas délivrer un grand nombre d’ordonnances quand les médicaments sont indisponibles. Ces pénuries résultent d’une augmentation exponentielle et incontrôlée du nombre de génériques combinée à l’étroitesse du marché et à la baisse des prix qui a compromis la rentabilité de certaines spécialités pharmaceutiques.



Dans le cas où elle serait adoptée, cette substitution souhaitée par les uns et combattue par les autres arrive trop tard puisque les seuls maigres avantages que le pharmacien peut en tirer se cantonnent à une réduction de stock et des périmés et à la possibilité de proposer une alternative thérapeutique en cas de rupture de stock. Le transfert de marge adopté, notamment en France, a été définitivement écarté par les caisses d’assurances maladies qui se sont arrangées de telle sorte que le patient fasse pression sur son médecin en exigeant la prescription du médicament générique pour ne pas avoir à payer de sa poche la différence entre le prix public de vente (PPV) du princeps et celui du médicament générique dont le PPV est le plus proche.

Les industriels sont aujourd’hui très inquiets et appréhendent, à juste titre, la mise en application de ce nouveau décret et la dérégulation qu’il risque d’engendrer. La rétroactivité est aussi une source d’inquiétude pour ces mêmes opérateurs.

Quant au pharmacien d’officine, sans mesures incitatives appropriées, il ne devrait logiquement pas substituer un princeps par un générique et accentuer l’érosion de son chiffre d’affaires, qui se fait de plus en plus discret depuis l’entrée en vigueur du décret n° 2-13-852 relatif aux conditions et aux modalités de fixation du prix public de vente des médicaments fabriqués localement ou importés.

À lire les articles publiés par certains quotidiens arabophones, il n’est pas exclu qu’on rentre à nouveau dans une «zone de turbulence» avec des règlements de compte par presse interposée. Le directeur du médicament et de la pharmacie, qui n’est pas à l’abri d’articles incendiaires, devrait faire preuve de beaucoup d’habilité afin d’améliorer l’accessibilité aux médicaments tout en évitant de fragiliser les opérateurs du secteur dont certains commencent déjà à tirer la langue.

Il ne doit pas, non plus, perdre de vue la situation délicate que traverse le pharmacien d’officine qui est incapable de stocker un nombre incalculable de médicaments génériques mis sur le marché. Deux options risquent cependant de s’imposer d’elles-mêmes : soit on trouve un moyen de limiter le nombre de génériques et le nombre de présentations par générique, soit on autorise le pharmacien à les substituer par des médicaments bioéquivalents disponibles, ne serait-ce que dans les cas où les ruptures de stock sont actées. Dans le cas contraire, le pharmacien continuera à passer ses journées accroché au téléphone à essayer désespérément de joindre des fournisseurs ou des médecins qui sont à mille lieues de se douter de ce qu’il endure réellement… 
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Source : PharmaNEWS 484