Article N° 5943

PHARMACIE D'OFFICINE

MALADIES CHRONIQUES ET REALITÉS DE L’EXERCICE OFFICINAL AU MAROC

Naji ZIOU ZIOU - 07 février 2018 17:05

La pharmacie est un espace de santé incontournable caractérisé par la proximité (presque 12000 officines réparties sur tout le territoire national), la facilité d’accès (sans rendez-vous) et la gratuité des prestations, comme le conseil, le suivi thérapeutique, etc. Par conséquent, le pharmacien, acteur principal de cet espace, ainsi que ses collaborateurs peuvent jouer un rôle déterminant dans la prise en charge des maladies chroniques.

Ce rôle peut concerner plusieurs aspects :

1- la dispensation des médicaments : qui reste le rôle principal du pharmacien d’officine. L’article 29 de la loi 17-04 portant code du médicament et de la pharmacie, l’exhorte à mettre sa compétence et son expérience au service du malade en réalisant un acte pharmaceutique associant à la délivrance des médicaments l’analyse de l’ordonnance, la mise à disposition du public des informations nécessaires au bon usage des médicaments, ainsi que les actes liés aux conseils préventifs et à l’éducation pour la santé.[i]

2-le suivi pharmaco-thérapeutique : Si le suivi de la maladie du patient est une compétence exclusive du médecin, le suivi des médicaments prescrits aux patients , est la nouvelle compétence et responsabilité des pharmaciens d’officine. Cette étape constitue la dernière phase de la chaine thérapeutique du médicament, qui constitue également un aspect important de la relation pharmacien- patient.[ii]

3- La promotion de l’usage rationnel des médicaments : Cet apport qui est en phase avec les conclusions de la conférence d’experts de L’OMS tenue en 1985 à Nairobi. Celle-ci recommande que « les patients reçoivent des médicaments adaptés à leur état cliniques, dans des doses qui conviennent à leurs besoins individuels, pendant une période adéquate et au coût le plus bas pour eux même et leur collectivité ».[iii]

4- Déceler, prévenir et résoudre tout problème lié à la prise de médicaments tels que des interactions, une double médication ou une mauvaise observance thérapeutique,…

5-les conseils préventifs, l’éducation pour la santé qui inclut la possibilité d´apprentissage, grâce à une forme de communication visant à améliorer les compétences en matières de santé et l’éducation thérapeutique du patient. Ceci, vise à aider les patients à acquérir ou à maintenir les compétences dont ils ont besoin pour gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique (selon L’OMS)[iv].

Ce ne sont là que quelques exemples des axes multiples sur lesquels peut et doit agir le pharmacien d’officine puisqu’il s’agit d’une obligation professionnelle et déontologique de ce dernier.[v]Dans ce contexte, la Fédération Internationale Pharmaceutique (FIP) à travers sa Déclaration de principe concernant le rôle du pharmacien dans la prévention et le traitement des maladies chroniques (approuvé par le conseil de la FIP en 2006), reconnait que le pharmacien a des atouts considérables pour intervenir dans la gestion des maladies chroniques, et ce d’autant plus que le traitement des maladies chroniques nécessite souvent de recourir, sur le long terme, à des médicaments. Par conséquent, la FIP recommande aux pharmaciens d’officine d’améliorer constamment la qualité de leurs pratiques pour pouvoir fournir des soins pharmaceutiques adaptés aux besoins des patients. Le pharmacien doit, pour cela, travailler en concert avec d’autres professionnels de santé pour optimiser les résultats du traitement en cherchant à motiver les patients et les encourager à devenir acteurs de leur propre santé.

 


Au Maroc, malgré les efforts déployés par l’équipe officinale pour la prise en charge des patients, les résultats obtenus ne sont pas proportionnels aux efforts engagés. En effet,  ce travail n’est pas réalisé d’une façon systématisée et selon des protocoles bien définis. Il faut dire aussi qu’il ya d’autres facteurs externes qui entravent ce travail parmi lesquels on peut citer :
- Le défaut de réactualisation des textes de loi qui régissent la profession. À titre d’exemple : le Dahir de 1922 qui est devenu anachronique et incompatible avec l’exercice officinal de nos jours [vi];
- Les ruptures de stock des médicaments et ce malgré les dispositions prévues par l’article 84 de la loi 17-04 qui obligent les établissements pharmaceutiques de détenir un stock de sécurité pour assurer l’approvisionnement normal du marché , sous peine du retrait ou de suspension de l’autorisation du mise sur le marché par l’administration, au cas où le titulaire de l’autorisation n’assure plus l’approvisionnement normal du marché pendant une durée continue de 6 mois ou ne respecte pas les dispositions législatives et réglementaires en vigueur en matière de stocks de sécurité ( quatrième alinéa de l’article 15 du code du médicament et de la pharmacie);
- Absence d’une politique efficiente en matière du médicament en général et des génériques en particulier ;
- Absence de centres d’information des médicaments ;
- Absence d’une Agence nationale du médicament et des produits de santé ;
- Le  taux de couverture médicale qui laisse beaucoup á désirer , le  faible pouvoir d’achat des citoyens et le régime d’assistance médicale (RAMED) qui a montré ses limites ; etc.

Il est évident aussi que cet espace de santé que constitue l’officine de pharmacie reste  sous exploité en ce qui concerne les  compagnes de sensibilisation et de promotion de l´éducation sanitaire en général et l’éducation thérapeutique du patient  en particulier.

On pourrait se demander à qui incombe donc la responsabilité ?

Sûrement au ministère de tutelle, mais en partie aussi, aux pharmaciens et leurs collaborateurs qui manquent  de formation adéquate dans le domaine de la prise en charge des maladies chroniques et surtout en ce qui concerne la communication avec les patients. Ceux-là n’ont pas reçu une formation adaptée à la réalité socio-économique et socioculturelle marocaine. D’où  l´idée d ´une formation qui s’impose aux professionnels et une création des ponts de communication avec tous les acteurs qui interviennent dans la chaîne thérapeutique du médicament et de l´éducation pour la santé des citoyens. Tout cela concourt à instaurer les bases d’un modèle  d’exercice officinal bien adapté à la réalité marocaine qui s’inscrit dans le cadre des soins pharmaceutiques (Pharmaceutical Care)  et qui intègre l’apport des sciences humaines et des sciences sociales dans la prise en charge des patients.    

 


[i] Dahir nº1-06-151 du 30 chaoual 1427(22 novembre 2006) portant code du médicament et de la pharmacie, B.O nº 5480-15 kaada 1427 (7-12-2006).

[ii] Joaquín Herrera Carranza, << Cadena terapéutica del  medicamento. Farmacia clínica. Atención farmacéutica>> , en Manual de Farmacia Clínica y Atención Farmacéutica , dir. Joaquín Herrera Carranza , Elsevier, Madrid, 2003,pp.1-17. 

[iii]L’usage rationnel des médicaments . Rapport de la Conférence d’experts , Nairobi, 25-29 novembre 1985. Genève , Organisation Mondiale de la Santé, 1987.

[iv]Rapport de l’OMS- - Europe , publié en 1996 , Therapeutic  Ptient Education – Continuing Education   Programmes for Health Care Providers in the field of  Chronic Disease , traduit en français en 1998.

[v]Décret nº2-63-486 du 9 chaabane 1383(26 décembre 1963) approvant et rendant applicable le code de deontologie des pharmaciens (B.O 17 janv.1964,p.82).

[vi] Dahir du 12 rabia II 1341 (2 décembre 1922) portant règlement sur l’importation, le commerce, la détention et l’usage des substances vénéneses, B.O. nº 534 du 16/1/1923 ,p.57.

Source : PMA