Article N° 8205

LICENCIEMENT - CANCER

Cancer et licenciement : la double peine !

Abderrahim Derraji - 12 octobre 2025 19:22
Le Code du travail marocain stipule dans son article 272 que : «Lorsque l'absence pour maladie ou accident, autre qu’une maladie professionnelle ou un accident du travail, est supérieure à cent quatre-vingts jours consécutifs au cours d’une période de trois cent soixante-cinq jours, ou lorsque le salarié est devenu inapte à continuer l’exercice de son travail, l’employeur peut le considérer comme démissionnaire de son emploi.» autrement dit, quand l’absence maladie ou accident (sauf ceux liés au travail ou à une maladie professionnelle) dépasse 180 jours consécutifs dans une même année civile (ou une période de 365 jours) l’employeur  peut considérer le salarié comme démissionnaire.
Cette disposition, dans un pays qui affirme faire de la santé un droit fondamental, ne peut être acceptée par des malades injustement frappés par une pathologie qui bouleverse du jour au lendemain le cours de leur vie. Le paradoxe est cruel : il suffit de tomber gravement malade pour perdre ce droit… au nom de la loi.
 
Ce mécanisme froid et impersonnel fait de la maladie une faute qui n’en est pas une. Au moment même où un individu lutte pour survivre, il devient administrativement «absent», socialement «inactif» et juridiquement «licencié». Il perd de ce fait son emploi, son salaire et souvent sa couverture sociale. Tout cela en parfaite conformité avec la législation en vigueur.
 
Des milliers de salariés du secteur privé, couverts par la CNSS, découvrent chaque année que leur protection s’arrête au moment où ils en ont le plus besoin. Passé six mois d’arrêt, la rupture du contrat entraîne la fin des cotisations, donc la perte de l’assurance maladie. Commence alors une descente aux enfers bureaucratique pour retrouver, sous un autre régime, une prise en charge déjà partielle et souvent tardive.
 
Ce que révèle cette disposition, c’est une incohérence majeure entre le droit du travail et le droit à la santé. D’un côté, la Constitution garantit la protection des citoyens en cas de maladie. De l’autre, le Code du travail en punit les conséquences. Le résultat, c’est une contradiction qui pénalise un malade qui n’a pas choisi une aussi lourde pathologie. 
 
L’intention initiale de la loi  qui avait pour but de protéger les entreprises d’une absence prolongée pouvait se comprendre à une époque où la couverture sociale était balbutiante. Mais aujourd’hui, à l’heure du Royaume social et de la généralisation de l’AMO, ce texte paraît anachronique, voire indécent.
 
Réformer aujourd’hui cet article ne relève pas de la sensibilité, mais du bon sens. Il ne s’agit pas de nier les contraintes économiques des employeurs, mais de replacer l’humain au cœur du droit. Suspendre le contrat plutôt que le rompre, maintenir temporairement la couverture sociale, créer un cadre clair pour le retour à l’emploi : autant de pistes réalistes pour concilier solidarité et responsabilité.
 
In fine, une société qui accepte qu’un malade perde tout après six mois de traitement ne défend pas seulement mal ses citoyens, elle se prive d’elle-même. Car derrière chaque travailleur licencié pour raison de santé, c’est une famille fragilisée, un revenu volatilisé, une confiance entamée.Le Maroc ne manque pas de lois, mais la justice qu’elles sont censées incarner peut ne pas être au rendez-vous...

Source : PharmaNEWS