Article N° 3089

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Baisse des prix des médicaments: à l'impossible nul n'est tenu

Zitouni Imounachen, docteur en pharmacie - 03 mars 2014 07:32

Si la baisse des prix des médicaments a été entérinée avec plus ou moins d'amertumes et de tracas chez les uns et les autres, il n'en demeure pas moins que beaucoup de flou et un grand manque de visibilité persistent encore quant aux modalités de sa mise en application, et particulièrement celles relatives à la généralisation de l'étiquetage en prix public de vente (PPV).

À moins de quatre mois de la date butoir du 19 juin, date à laquelle le décret 2-13-853(1) relatif à la fixation des prix des médicaments rentrera en vigueur, les industriels, les grossistes et les pharmaciens d'officine se posent beaucoup de questions par rapport à sa mise en application.

En effet, les termes de la dernière note d'information (2) et les dispositions du nouveau décret pourraient laisser entendre que tous les médicaments doivent changer d'étiquetage (3). Et même si le prix reste inchangé, l'étiquetage en PPV risque d'être obligatoire à partir du 19 juin prochain. Or, de l'avis de la quasi-totalité des intervenants du secteur du médicament, cette opération relève de l'impossible si elle est maintenue pour le 19 juin 2014, et elle risque d'induire un tarissement du marché du médicament, privant ainsi les patients de leurs traitements. Car, si tous les médicaments devaient être ré-étiquetés, le nombre de boîtes de médicaments qui seraient concernées par ces changements avoisinerait les 60 millions. Une telle opération peut être qualifiée de fastidieuse, et avec toute la bonne volonté du monde, elle s'avérerait impossible à réaliser en si peu de temps.

L'autre conséquence, non moins grave, de l'éventualité d'un ré-étiquetage généralisé, concerne le pharmacien d'officine. Celui-ci serait amené à rendre tout son stock résiduel étiqueté en PPM au grossiste. Celui-ci devrait, alors, selon les règles élémentaires de bonnes pratiques de distribution, contrôler les produits retournés, les trier et les retourner aux fabricants. Ce dernier aura la lourde tâche de ré-étiqueter le stock concerné selon les bonnes pratiques de distribution. Cette opération prendra probablement plusieurs semaines, et les pharmaciens d'officine se retrouveront dans l'obligation de stopper leur activité en attendant la réception et la mise en place de leur stock avec le nouvel étiquetage.

Les grossistes, à leur tour, pâtiront de cette situation puisqu'ils seront confrontés à une énorme surcharge de travail essentiellement en matière de logistique pour faire la réception des produits de toutes les pharmacies du Royaume et pour les acheminer aux laboratoires concernés!

Vu l'ampleur d'une telle opération, tous les représentants du secteur du médicament jugent une telle opération impossible à réaliser et sont unanimes quant à l'inutilité du ré-étiquetage des médicaments non concernés par la baisse pour les malades.

Aujourd'hui, si un allongement suffisant de la période de transition pour écouler les médicaments avec PPM (période où coexisteront les deux étiquetages pour les médicaments dont les prix ne changent pas) n'est pas adopté, l'essence et la philosophie qui ont animé cette baisse des prix des médicaments se retrouveront écornées. Car, l'accessibilité aux soins des citoyens marocains a été le leitmotiv que l'administration a toujours mis en avant pour justifier sa réforme. Et cette opération sera inéluctablement à l'origine d'un très grand nombre de rupture de stock, étant donné que les pharmaciens d'officine et les grossistes s'attèleront à assécher leur stock en médicament avec PPM et le réduire au strict minimum.

Enfin, tous les intervenants du secteur du médicament ont accepté à leurs dépens et tant bien que mal, de participer à rendre le médicament plus accessible à leurs concitoyens. La baisse des prix des médicaments va engendrer, de toute évidence, une baisse de leurs revenus. Seulement, le tribut à payer est très grand chez les industriels. Car, à cause du flou qui règne autour des modalités d'application du décret, les ventes des laboratoires en médicaments ont connu et connaîtront des baisses abyssales. Si, en plus, on les accule à modifier les étiquettes de tous les médicaments, soit environ 60 millions d'unités, cela risque d'être le coup de grâce porté à une industrie souvent qualifiée comme étant un des fleurons de l'industrie marocaine.Zitouni Imounachen, Docteur en pharmacie

(1) Décret 2-13-853Lien (2) Note d'information: Lien(3) Soit par ce que leur prix est supérieur au prix moyen du benchmark, soit parce que le prix d'un princeps est devenu inférieur à un plusieurs médicaments appartenant à son groupe de générique (article 5 du décret 2-13-853) ou tous simplement par ce que l'article 11 du même décret stipule que le prix du médicament doit être arrondi.

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Source : Pharmanews 229