Article N° 2700
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Le pouvoir des bactéries sur les médicaments
Zitouni Imounachen, docteur en pharmacie - 30 juillet 2013 15:10Si nous ne sommes pas égaux face aux maladies, nous ne le sommes pas non plus en ce qui concerne les traitements médicamenteux. Certains s'avèrent ainsi inefficaces chez des patients sans que l'on sache exactement pourquoi.
«Des traitements anticancéreux sont connus pour ne produire aucun effet chez certains patients, explique Joël Doré, chercheur spécialiste du microbiote (ensemble des micro-organismes) intestinal à l'Institut national de recherche agronomique (Inra). Or l'analyse de leur microbiote a révélé des similitudes importantes chez ces patients, dits "non-répondeurs".» S'il n'est pas encore possible d'identifier toutes les souches bactériennes présentes dans le tube digestif humain, les travaux publiés jusqu'à présent montrent que le microbiote intestinal comprend une large composante commune entre individus et une part plus spécifique. C'est dans cette spécificité que la variabilité de réponses aux traitements trouverait sa source.
Une étude américaine publiée dans la revue Science montre pour la première fois qu'une seule souche bactérienne peut moduler l'efficacité d'un médicament. «La digoxine est utilisée comme cardiotonique depuis longtemps, souligne le Pr Peter Turnbaugh, microbiologiste à l'université de Harvard et auteur de l'étude. Or les médecins observent depuis toujours qu'une partie des patients semblent «imperméables» au traitement.»
Pour élucider ce mystère, les chercheurs américains ont étudié les interactions entre microbiote intestinal et digoxine chez des souris. Leurs travaux ont non seulement permis d'identifier la souche bactérienne responsable de l'inactivation de la digoxine - Eggerthella lenta -, mais décrivent également le mécanisme biochimique en cause. «Cette publication va marquer un tournant dans l'étude du microbiote, relève Joël Doré. Cela montre l'importance de mieux comprendre les bactéries pour améliorer la prise en charge thérapeutique des patients.»
Les bactéries ne se contentent pas d'inactiver des molécules médicamenteuses. Certaines sont aussi capables de les transformer en dérivés parfois toxiques pour notre organisme. A contrario, elles sont parfois nécessaires pour activer certains traitements. Mieux comprendre le fonctionnement de ces micro-organismes permettrait donc à moyen terme de proposer aux patients des thérapies compatibles avec leur «profil bactérien». «Nous ne rêvons pas de médecine individualisée, relève Joël Doré, mais nous espérons voir se développer une médecine adaptée à des patients qui partageraient certaines caractéristiques bactériennes.»
Source : Le Figaro