Article N° 1892

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La maladie cœliaque, un iceberg au Maroc et une affection sous-diagnostiquée

- 30 mai 2012 12:36

La maladie c½liaque est une pathologie auto-immune due à l'ingestion de composants immunotoxiques (les gliadines notamment) au sein du gluten et de protéines apparentées dans le blé, le seigle, l'orge, l'épeautre et l'avoine. Au contact de ce gluten, l'organisme de certaines personnes fabrique des auto-anticorps et des cytokines qui endommagent la muqueuse intestinale et provoquent des troubles variés (douleurs abdominales, diarrhées, anémie...). Aucun traitement n'existe à ce jour hormis l'éviction du pathogène, le gluten.Concernant sa fréquence, les experts emploient souvent à son propos l'image de l'iceberg c'est à dire que la partie cachée est bien plus élevé que la partie visible : pour chaque malade c½liaque diagnostiqué, il y en aurait en fait bien plus de cas - de 10 à 12 fois plus - qui resteraient inconnus parce que silencieux, latents, asymptomatiques ou mal diagnostiqués.Sa prévalence moyenne dans le monde a été ainsi réévaluée ces dernières années pour être actuellement estimée à environ 1,1 à 1,2 %des personnes (contre 0,3 à 0,5 % précédemment). Alors qu'on a cru longtemps qu'elle affectait uniquement les humains de souche caucasienne, les enquêtes épidémiologiques effectuées dans les années 1990 dans le reste du monde, et notamment dans le monde arabe, ont montré qu'elle pouvait, partout ou presque, toucher au moins tout autant les autres peuples. De plus, cette notion de prévalence moyenne peut en fait aussi cacher des situations très disparates selon les groupements humains et les régions d'un même pays. Ainsi, des études menées en 1999 avec l'OMS ont révélé une prévalence très forte de 5,6 % au sein de populations sahraouis. Les raisons de ce taux élevé sont à relier à la fois à des facteurs génétiques et environnementaux. D'un côté, les personnes touchées possédaient toutes dans leur complexe majeur d'histocompatibilité (CMH) (encore appelé système HLA (Human leukocyte Antigen), c'est-à-dire notre carte d'identité biologique), les gènes DQ2 et/ou DQ8, un élément nécessaire mais non suffisant pour développer la maladie.Une tradition de forte endogamie explique aussi cette causalité génétique.D'un autre côté, les facteurs nutritionnels paraissent avoir pesé lourdement : le régime alimentaire des peuples nomades comme les Sahraouis reposaient historiquement sur un allaitement maternel prolongé pour les enfants, le lait et la viande de chameau, les dates, le sucre et de petites quantités de céréales et légumes. Très tardivement au cours du siècle dernier, ce régime a brutalement changé avec l'introduction de la farine de blé et spécialement du pain qui est devenu l'élément de base de l'alimentation (les céréales contenant du gluten, et spécialement le blé, ont représenté plus de 50 % de la balance énergétique de la nourriture en Afrique du Nord dans les années 1990). Chez les Sahraouis, la période d'allaitement exclusif a été réduite et le pain introduit souvent très tôt lors de la première année d'enfance dans le régime et cela a certainement compté dans le nombre de cas observés chez les enfants. Les difficultés rencontrées par ces populations dans le contexte politique de l'époque ont certainement amplifié ce fort taux de prévalence : les personnes fragilisées ont été en effet plus enclines à contracter alors la maladie c½liaque. Si on peut penser que ce taux est moindre actuellement, le chiffre relevé témoigne néanmoins clairement en faveur d'un facteur de risque significatif des Sahraouis à cette pathologie, sans d'ailleurs forcément dramatiser la situation réelle. La maladie peut se présenter en effet comme active et dommageable ou bénignes ou encore silencieuse, toutes choses qui compliquent d'ailleurs la détection exacte de la maladie. En tout état de cause, des études épidémiologiques larges sont nécessaires pour mieux cerner sa prévalence au Maroc en général et dans le sud en particulier. La reconnaissance de groupes à risque permettrait de mieux sensibiliser les populations, notamment quant aux avantages pour les enfants en bas âge de préserver leur période d'allaitement maternel et d'introduire dans leur nourriture, en plus petite quantité, le gluten du pain et, au contraire, en plus grande quantité, le riz ou le millet qui sont de très bons substituts.30 mai 2012Par le DR Khadija MoussayerSpécialiste en Médecine interne et en GériatriePrésidente de l'Association Marocaine des Maladies Auto-immunes et Systémiques

Références :- Catassi C et al. Why is coeliac disease endemic in the people of the Sahara? Lancet, 1999, 354: 647-648.- Catassi C et al. Coeliac disease in the year 2000: exploring the iceberg. Lancet, 1994, 343: 200-203.- Rawashdeh MO, Khalil B, Raweily E. Celiac disease in Arabs. Journal of Pediatric Gastroenterology and Nutrition, 1996, 23: 415-418. - Khuffash FA et al. Coeliac disease among children in Kuwait: difficulties in diagnosis and management. Gut, 1987, 28: 1595-1599- The sixth world food survey. Rome, Food and Agriculture Organization of the United Nations, 1996.

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