«Demande conseil à quelqu’un d’expérimenté plutôt qu’à un docteur !»
Par Abderrahim Derraji, Docteur en pharmacie
L’engouement de nos concitoyens pour l’automédication n’a jamais faibli et ça ne date pas d’aujourd’hui. Cette automédication puise sa légitimité dans une médecine populaire permettant de soigner bon nombre de maux courants par des plantes, des régimes, et même par certains médicaments. Le recours à certaines infusions connues pour leurs vertus est souvent bénéfique pour les patients, mais ce n’est pas le cas de certains mélanges de plantes plus ou moins connues pouvant présenter un danger potentiel pour les usagers de ces produits naturels. Ces derniers sont souvent présentés comme dénués de toxicité ce qui est totalement faux ! Les intoxications par des plantes ne sont pas rares au Maroc, particulièrement chez les patients n’ayant pas accès aux soins.
Pourtant, la plupart des régions du Royaume sont dotées de pharmacies qui rendent de loyaux services aux malades. Généralement, le pharmacien et son équipe jouissent d’un «capital confiance» indéniable, ils connaissent les dossiers médicaux de leurs patients et surtout s’adaptent à leurs moyens. On déplore cependant que la médication officinale responsable coexiste avec une automédication «sauvage» où le «ouï-dire» prend souvent le pas sur les protocoles thérapeutiques sûrs, efficaces et ne faisant appel qu’à des médicaments pouvant être conseillés par le pharmacien et son équipe.
Cette situation devrait nous interpeller à faire évoluer la pratique officinale, sachant que l’obsolescence de certains textes régissant la profession explique en partie l’anachronisme existant entre la cadre juridique régissant la pharmacie et la réalité de l’exercice officinal, et ce ne sont pas les exemples qui manquent.
Tous les contraceptifs oraux appartiennent au tableau «A» et leur dispensation ne peut théoriquement se faire que sur présentation d’une ordonnance valable. En pratique, et étant donné que les contraceptifs ne sont pas pris en charge par les caisses d’assurances maladie et les mutuelles, une minorité de femmes seulement passent par leur médecin pour renouveler leur contraceptif. La campagne de planification familiale «Kinat lahlal» qui s'est accompagnée d'une formation adéquate des pharmaciens et de leurs collaborateurs avait donné l’effet escompté, mais non sans instaurer des habitudes de consommation de ces médicaments.
D’ailleurs, on ne comprend pas que la «pilule du lendemain», qui doit être prise en urgence, puisse, elle aussi, être inscrite au tableau A alors qu’elle est mise à la disposition des jeunes filles en France sans qu’aucune prescription ne leur soit demandée. Dans ce même pays, les lois ont été réactualisées pour permettre au pharmacien de renouveler les contraceptifs oraux, et même les médicaments destinés à traiter les maladies chroniques quand le patient se trouve dans l’impossibilité d’avoir un rendez-vous avec son médecin traitant.
Il est évident que les lois doivent aussi évoluer chez nous pour améliorer la prise en charge du patient en espérant qu’un cadre efficient et cohérent sera mis en place pour réglementer la médication officinale. Mais la profession ne peut pas tout mettre sur le dos de l’obsolescence des textes de loi. Les instances professionnelles devraient collaborer avec les facultés de pharmacie et les sociétés savantes afin de mettre en place des protocoles de prise en charge des patients en officine. Cette collaboration devrait également prévoir des modules de formation continue pour que les pharmaciens puissent tirer profit de ces protocoles.
In fine, pour que nos patients continuent à nous demander conseil plutôt qu’à un «expérimenté», on doit tout faire pour sécuriser la médication officinale en nous conformant au passage à la législation réglementant la dispensation des médicaments. Et pour que le pharmacien puisse rester crédible et jouir de nouvelles missions, il ne peut faire l’économie de se former régulièrement et surtout d’accompagner tout acte officinal engageant sa responsabilité !
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