Psychotropes au Maroc : psychiatre désemparé, pharmacien angoissé et malade stigmatisé...
Abderrahim Derraji, Docteur en pharmacie
L’Association des psychiatres d’exercice privé (APEP) a organisé, mercredi dernier, un webinaire sur le thème «La problématique de la prescription des médicaments psychotropes au Maroc».
Pour animer ce séminaire virtuel, les organisateurs ont fait appel à trois psychiatres et autant de pharmaciens qui ont, deux heures durant, brossé un tableau des contraintes liées à la prescription et à la dispensation des psychotropes au Maroc.
Tous les intervenants, sans exception, ont pointé du doigt l’obsolescence du cadre juridique régissant les psychotropes, notamment le Dahir du 2 décembre 1922 portant règlement sur l’importation, le commerce, la détention et l’usage des substances vénéneuses.
Hormis quelques rares actualisations, ce texte attend toujours une vraie refonte lui permettant de s’adapter aux attentes des professionnels de santé et aux besoins des patients, sachant que le Maroc est signataire de plusieurs conventions internationales dont certaines attendent toujours d’être transposées en droit national. Il suffit de consulter ce Dahir hérité du protectorat pour se rendre compte de ses nombreuses insuffisances. La plupart des molécules dont il fait référence ne sont plus utilisées de nos jours, et paradoxalement, ce texte de loi qui réglemente les psychotropes, ne comporte aucun article citant le terme «psychotrope».
À l’obsolescence du cadre juridique vient s’ajouter l’absence d’outils permettant de sécuriser la délivrance des psychotropes comme l’ordonnance infalsifiable ou le dossier médical partagé qui est en vigueur dans la plupart des pays voisins. Les pharmaciens ne disposent pas non plus d’une liste officielle des psychotropes et encore moins des psychotropes détournés de leur utilisation.
Conséquence prévisible : un climat de suspicion et une législation qui peuvent, en un clin d’œil, faire basculer le pharmacien du statut d’honorable professionnel de santé à celui de trafiquant de stupéfiant. Les officinaux sont, de ce fait, acculés à appliquer la loi à la lettre, ce qui impacte la compliance aux traitements des patients qui n’arrivent pas à renouveler à temps leurs ordonnances.
Pour éviter cette situation kafkaïenne, certains pays comme la France autorisent le pharmacien, sous certaines conditions, à renouveler les ordonnances de malades chroniques arrivées à expiration.
Par ailleurs, la crise sanitaire actuelle et le confinement qui l’a accompagnée n’ont laissé aucun choix aux psychiatres qui ont eu recours aux techniques de l’information et de la communication pour transférer les ordonnances aux patients ou aux pharmaciens. Cette expérience devrait inciter les pharmaciens et les psychiatres à travailler ensemble pour trouver des solutions à même de garantir un transfert sécurisé des ordonnances empêchant ainsi la lutte contre le trafic et le mésusage d'entraver l’approvisionnement des vrais malades en psychotropes.
Pour conclure, la problématique de la prescription et la dispensation des psychotropes ne peut être résolue qu’avec un cadre réglementaire efficient et adapté aux conventions internationales signées par le Maroc. La collaboration entre les psychiatres et les pharmaciens est primordiale, mais sans l'implication effective de l’administration et une vraie volonté politique, le Dahir de 1922 risque d'avoir de beaux jours devant de lui !
Lien du webinaire
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