Résistances aux antibiotiques : les alarmistes étaient trop optimistes !
Par Abderrahim DERRAJI
Les membres de la Société marocaine d’infectiologie pédiatrique et de vaccinologie (Somipev) et de nombreux experts se sont donné rendez-vous, le week-end dernier, à Marrakech pour prendre part à la cinquième édition du Congrès annuel de cette société savante.
Les organisateurs de cette rencontre ont prévu des thématiques axées sur la nutrition, le microbiote, la vaccination et la résistance aux antibiotiques (ATB).
Cette dernière thématique a fait l’objet d’une table ronde qui a suscité beaucoup d’intérêt de la part de tous les participants. De nombreux spécialistes estiment que les multi-résistances risquent de faire basculer l’humanité dans une ère post-antibiotique, avec un risque d’acquisition et d’infection par des bactéries multi-résistantes.
La résistance aux antibiotiques est un phénomène naturel qui s’est aggravé par l’usage inapproprié des antibiotiques, aussi bien en médecine humaine qu’en médecine vétérinaire. D’ailleurs, et aussi invraisemblable que cela puisse paraître, les ATB continuent à être largement utilisés comme facteur de croissance en alimentation animale, notamment au Maroc.
Aujourd’hui, le constat ne laisse aucun doute. La plupart des germes sont en train d’acquérir des résistances aux antibiotiques existants au Maroc. Et exception faite du SARM (Staphylococcus aureus résistant à la méticilline) qui semble, selon les spécialistes, poser «moins de problèmes» dans les services de pédiatrie au Maroc, les bacilles à Gram négatif ( klebsielle, colibacilles, enterobacter, pyocyanique et acinétobacter) inquiètent particulièrement le corps soignant. Les médecins seront, de plus en plus, confrontés à des impasses thérapeutiques, d’autant plus que très peu de nouveaux ATB seront mis sur le marché dans les années à venir.
À la lumière de l’expérience française présentée conjointement par les professeurs Robert Cohen et Jean-Ralph Zahar, la prise en charge des maladies infectieuses passe obligatoirement par un usage rationnel des ATB. La prescription d’ATB ne peut plus être prise à la légère. Les médecins devraient évaluer, au cas par cas, le rapport bénéfice/risque en évitant de prescrire les antibiotiques «sélectionnants» tels que les pénèmes. D’autres antibiotiques comme les céphalosporines, les quinolones, l’azithromycine et l’association amoxicilline-acide clavulanique ne doivent être administrés qu’une fois l’indication ne laisse aucun doute. La voie d’administration, la posologie et la durée du traitement doivent être scrupuleusement respectées.
De l’avis des experts, le Maroc doit accélérer la mise en place du Plan national de lutte contre la résistance aux antibiotiques. Ce plan qui s’inspire de celui proposé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a bien avancé puisque l’évaluation de l’état des lieux a été effectuée. Cette évaluation a été suivie d'un Atelier national multi-sectoriel et multi-disciplinaire qui a permis l’adoption de recommandations dans le but de maîtriser les multi-résistances aux antimicrobiens au Maroc.
Enfin, on ose espérer que la gravité et l’urgence de la situation puissent permettre une mise en place rapide de ce plan qui est inéluctable si on veut espérer une « remontada » contre la résistance aux ATB. Faute de quoi, nous allons continuer à dilapider notre «capital antibiotique» au risque de voir les bactéries emporter définitivement la bataille !
Congrès en photos : lien
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