Politique pharmaceutique nationale : les pharmaciens refusent d’être sacrifiés à nouveau !
Par Abderrahim Derraji, Docteur en pharmacie
À l’instar d’autres représentants du secteur pharmaceutique, le président du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens a été invité par la directrice du médicament et de la pharmacie à répondre à un questionnaire mis en ligne par le ministère de la Santé dans un délai n’excédant pas une dizaine de jours. Ce questionnaire rentre dans le cadre de la concertation accompagnant le projet de la nouvelle édition de la Politique pharmaceutique nationale (PPN) lancée par le ministère de la Santé en collaboration avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Faut-il le rappeler, les pharmaciens d’officine ont payé et continuent à payer un lourd tribut à la première mouture de la Politique pharmaceutique nationale 1 présentée officiellement le 23 janvier 2013 à Rabat par El Houssaine Louardi.
Les 10 objectifs et les 35 engagements que prévoyait cette mouture se sont volatilisés et la PPN s’est presque réduite à la mise en application du Décret 2-13-852 du 18 décembre 2013.
Depuis la publication de cet texte, les surprises se sont succédées et ont révélé au grand jour que l’étude d’impact de ce décret sur l’économie de la pharmacie a été bâclée, voire orientée. Quant aux représentants des pharmaciens, ils n’y avaient vu que du feu !
Le volume de ventes des médicaments qui aurait dû progresser, selon les prévisions du ministre de la Santé et compenser les baisses de prix des médicaments, a stagné. La consommation annuelle des Marocains en médicaments n’a pas bougé d’un iota.
Le remplacement des marges par des forfaits pour les médicaments dits onéreux (T3 et T4) devait faciliter l'accès à ses médicaments. Mais il n’en a rien été, il l’a plutôt limitée. La plupart des pharmaciens refusent de dispenser ces médicaments quasiment à perte. D’autant plus que les mesures compensatoires promises par le ministre de la Santé de l’époque n’étaient au fait qu’un tour de passe-passe pour faire avaler la pilule aux pharmaciens.
À part quelques rares exceptions, les médicaments dits à «petit prix» sont voués à une disparition certaine à court ou à moyen terme en raison de leur rentabilité réduite, voire inexistante. C’est aussi le cas de certains génériques dont la pérennité a été compromise, entre autres, par la non-application des dispositions que prévoit l’objectif 5 de la PPN.
On pourrait dire, sans se tremper, que les pharmaciens ont bel et bien été sacrifiés à l’autel d’une accessibilité aux médicaments qui n’est toujours pas au rendez-vous.
Aujourd’hui, les officinaux et les autres acteurs du médicament, qui sont incapables de se projeter dans l’avenir faute de prévisibilité, risquent de ne pas survivre à de «nouvelles surprises», à moins que l'actuel ministre de la Santé se décide à dépouiller le décret décrié de ses aberrations. Certes, on doit d’abord prendre en considération l’intérêt du patient. Mais cela ne peut être garanti si on prend le risque de mettre en difficultés les industriels, les répartiteurs et les pharmaciens qui couvrent les besoins des Marocains en médicaments de qualité dans toutes les régions du Royaume, y compris les moins accessibles.
On ose espérer que cette fois-ci le populisme et la communication à outrance, qui étaient de mise lors de la préparation de la première mouture, céderont la place à un climat serein et propice à une vraie concertation. Cette dernière constitue l’ingrédient essentiel pour mettre en place une Politique pharmaceutique nationale en phase avec les attentes du pays, une politique permettant de relever le défi de la généralisation de la couverture médicale sans compromettre la viabilité des différents acteurs du secteur du médicament. Pour s’en convaincre, il suffit de se remémorer les loyaux services qu’ils ont rendu depuis le début de la pandémie !
1- PPN : https://pharmacie.ma/uploads/pdfs/presentation_ppn_louardi.pdf
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