Covid-19 : «Le minaret est tombé, on a pendu le coiffeur!»
Par Abderrahim Derraji, Docteur en pharmacie
Depuis l’annonce du premier cas de coronavirus SARS-CoV2 (Covid-19) à Wuhan, en Chine le 31 décembre 2019, le nombre de sujets affectés par le Covid-19 ne cesse de croître. Il en est de même pour le nombre de pays touchés par ce virus.
Les stratégies adoptées par les différentes nations pour contenir la propagation du Covid-19 se sont révélées inefficaces puisque l’épidémie avance comme une trainée de poudre. Cette épidémie a aussi battu en brèche notre confiance dans notre capacité à faire face aux maladies transmissibles et aux épidémies.
Une autre particularité de ce fléau qui pourrait faire place à une vraie pandémie, c’est «l’infodémie» qui l’accompagne. La facilité de diffusion de l’information et à l’accès à celle-ci couplés aux infox auxquelles sont exposées les internautes, expliquent en partie la multiplication des comportements irrationnels.
En effet, l’approvisionnement anormal en équipements de protection individuelle lié à une forte demande, aux achats «paniques», à la constitution de stocks et à l’usage abusif, risquent de compromettre la lutte contre le Covid-19.
Aussi, les professionnels de santé, sans qui on ne pourra pas lutter efficacement contre le Covid-19, ont besoin de gants, de masques médicaux et de gel hydro-alcoolique pour se protéger eux-mêmes, et éviter que leurs patients ne soient infectés ou infectent d’autres personnes. Ils ont aussi besoin de respirateurs, lunettes de protection, écrans faciaux, blouses, etc.
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les besoins mensuels en masques médicaux, en gants et en lunettes de protection sont estimés respectivement à 89 millions, 76 millions et 1,6 million.
Depuis le début de la flambée, la demande s’est accentuée et les prix ont augmenté d’une manière exponentielle. Le prix des blouses a été multiplié par deux, celui des respirateurs N95 a triplé. Quant-au prix des masques chirurgicaux, il a sextuplé.
Au Maroc, où on a commencé à comptabiliser les premiers cas de Covid-19, nos concitoyens qui sont à la fois surinformés et désinformés sont pris de panique. Les stocks des pharmacies en masques chirurgicaux et en gel hydroalcoolique n’ont pas fait long feu. Les fournisseurs qui proposent encore des masques chirurgicaux ont revu leur prix de cession à la hausse, ce qui s'est répercuté dans certaines pharmacies par une augmentation du prix de vente de ces masques. Un grand nombre de pharmaciens s’est abstenu d’en commander pour ne pas devoir pratiquer un prix anormalement élevé ! Faut-il le rappeler, le prix des dispositifs médicaux est libre contrairement aux médicaments dont le prix ne connaît pas de fluctuations, même en cas de tension d'approvisionnement. Le prix fournisseur et le prix public de vente sont fixés par l’administration et sont respectés à la lettre par les établissements pharmaceutiques et par les pharmaciens !
Depuis l’augmentation des prix des masques et des gels hydroalcoolique, certains politiciens et certains médias qui méconnaissent le circuit d’approvisionnement en produits de santé, veulent, à tort, faire porter le chapeau au pharmacien, ce qui n’est pas sans nous rappeler l’adage marocain : «Le minaret est tombé, on a pendu le coiffeur1 !».
Mais, à part pendre le coiffeur, qui n’ y est pour rien dans cette affaire, il va falloir tôt ou tard tirer les leçons de ces irrégularités. Rappelons au passage, que les pharmaciens et leurs instances ont demandé à maintes reprises à leur ministère de tutelle de mettre fin à la distribution anarchique des dispositifs médicaux (DM). Ils ont même demandé à ce que leur prix soient fixe.
Nous devons par la même occasion, réfléchir aux mécanismes à mettre en place pour augmenter la capacité de production des DM sensibles, ou au moins renforcer autant que possible le «multisourcing».
1Origine de l’expression «Le minaret est tombé, on a pendu le coiffeur!» :
Ce proverbe marocain très utilisé relate l’histoire d’un coiffeur dont la boutique jouxtait une mosquée que les fidèles voulaient agrandir en annexant le local du coiffeur, chose qu’il a refusée.
Avec le temps, le mur du minaret a commencé à se dégrader et le minaret a fini par s’écrouler. La foule, a rendu le coiffeur responsable de la chute du minaret et a exigé sa pondaison.
Habituellement, on utilise cette expression à chaque fois qu’on a recours à des subterfuges pour arriver à des fins non avouées.
Communiqué du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens (version arabe) : lien
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