LES INFECTIONS URINAIRES CHEZ LA FEMME
Pr. Mounir Charif Chefchaouni - Chirurgien Urologue / Casablanca
Décembre 2009
INTRODUCTION
Les infections urinaires représentent un véritable problème de santé publique à travers le monde. 40 à 50% des femmes auront au moins une fois au cours de leur vie une infection urinaire. Les infections sont classées en urétrite (urètre), cystite aiguë simple, cystite aiguë récidivante,pyélonéphrite aiguë simple, l’infection urinaire de la femme enceinte et de la femme ménopausée.
MICROBIOLOGIE DES INFECTIONS URINAIRES
Les bactéries d’origine fécale, les entérobactéries, sont les plus en cause. L’E. coli est l’agent pathogène principal dans 80% des cas. Cette bactérie est responsable d’infection par l’adhésion, l’invasion et la réplication à l’intérieur des cellules de la surface épithéliale vésicale et de l’appareil urinaire. Le Proteus et l’Enterobacter, sont les deuxièmes bactéries rencontrées. On voit également l’émergence de bactéries Gram positif notamment le Staphylocoque « blanc » Dnase négative dans 5% des cas et ceci en raison de la prescription non réfléchie des quinolones.
La résistance des bactéries aux antibiotiques est un véritable problème. Il existe une relation entre la consommation d’antibiotique et la résistance de l’E. Coli à différentes molécules. Dans les pays d’Europe du nord, l’Angleterre, les pays Germaniques et l’Autriche, la résistance aux aminopénicillines est inférieure à 10%, car la consommation d’antibiotique est faible. A contrario, comme l’utilisation des antibiotiques est plus importante dans les pays d’Europe du sud et la France, la résistance de l’E.colie à cette molécule peut atteindre jusqu'à 40 ou 50%. Pour les quinolones, l’E.coli a une résistance inférieure à 2% dans les pays d’Europe du nord et peut atteindre jusqu'à 4-7% voire 10% dans les pays d’Europe du sud et la France. Dans une étude faite en 2008 dans neuf pays Européens et au Brésil, 30 à 50% des germes sont résistants au Sulfaméthoxazole-triméthoprime et à l’ampicilline.
Au Maroc, nous ne disposons pas de données bactériologiques précises, mais comme nos habitudes de prescription sont proches de l’Europe du sud, il semble que nous avons les mêmes taux de résistance de l’E.coli aux aminopénicillines et au Bactrim®.
Il existe trois groupes de bactérie :
- le groupe I ou forme sauvage comprenant l’E.coli et le Protéus mirabilis qui sont d’emblée sensibles à toutes les ßlactamines.
- Le groupe II sécrète une pénicillinase naturelle. Il regroupe Klebsiella pneumonia,Citrobacter diversus et Klebsiella oxytica. Les bactéries sont naturellement résistantes à l’amoxicilline et à la ticarcilline avec cependant une récupération par l’acide clavulanique (AC).
- Le groupe III comprend les bactéries qui ont une céphalosporinase chromosomique. Il comprend l’Enterobacter cloacae, Citrobacter fundii et Serratia marcescens. Ces bactéries résistent à l’amoxicilline, à la céfalotine, à l’AC. La ticarcilline est plus ou moins sensible.
BANDELETTE URINAIRE ET EXAMEN CYTOBACTERIOLOGIQUE DES URINES
Au cabinet médical, l’utilisation de la bandelette urinaire est fondamentale. Elle permet la détection des leucocytes grâce à la leucocyte estérase, avec une sensibilité de 52,9 % et les enzymes des Entérobactéries grâce à la nitrite réductase avec une sensibilité de 31,4%. La valeur prédictive négative (VPN) est supérieure à 96%. En pratique, cela veut dire qu’un test négatif élimine une infection urinaire et un ECBU est inutile. Un test positif confirme une infection urinaire et impose un ECBU au laboratoire pour déterminer la bactérie en cause et faire un antibiogramme.
COMMENT INTERPRETER UN ECBU?
Une leucocyturie normale est inférieure ou égale à 10 globules blancs par mm3 soit 10.000 globules blancs par ml.
L’urine est considérée stérile si la bactériurie est inférieure à 10³ colonies par ml.
L’interprétation de la bactériurie est différente en fonction du type d’infection:
Au Maroc, pays d’endémie tuberculeuse il faut se méfier d’une leucocyturie abactérienne chez une femme qui a un tableau clinique de cystite à répétition. La tuberculose doit être recherchée.
GUIDELINES DE L’E.A.U. (European Association of Urologie).
L’URETRITE AIGUE
N. gonorrhoeae (Ng), C. trachomatis (Ct) et Mycoplasma genitalium (Mg) sont les germes pathogènes. L’infection est souvent associée à une infection génitale patente ou latente. La symptomatologie est une cystite à urine claire.
Le meilleur examen biologique à faire est une PCR sur le première jet urinaire du matin.
Les antibiotiques suivants sont recommandés pour le traitement de l’urétrite à N.gonorrhoeae :
- Cefixime, 400 mg en dose unique par voie orale.
- Ceftriaxone, 125 mg intramusculaire en une seule dose.
- Ciprofloxacine, 500 mg per os en dose unique.
- Ofloxacine, 400mg per os en dose unique.
Rappelons que les fluoroquinolones sont contre-indiquées chez l’adolescente de moins de 18 ans et chez la femme enceinte.
Comme l’infection à Ng est fréquemment accompagnée d’infection à Ct, une antibiothérapie active contre le Ct doit être associée :
- Le traitement de premier choix est l’Azithromycine, 1 g par voie orale en une seule dose ou la Doxycycline, 100 mg 2 fois par jour pendant 7 jours.
- En seconde ligne de traitement, on peut proposer l’Erythromycine, 500 mg 4 fois par jours pendant 7 jours.
LA CYSTITE AIGUE SIMPLE DE LA FEMME NON MENAUPOSEE ET NON ENCEINTE
La bandelette urinaire est suffisante. Un ECBU devient nécessaire seulement si les symptômes ne se résolvent pas ou si l’amélioration n’est pas sensible.
Les Guidelines de l’EAU recommandent une antibiothérapie de courte durée ; elle a de nombreux avantages par rapport un traitement de longue durée : une meilleure compliance, un faible coût, moins d’effets secondaires et un faible impact sur la flore naturelle urétrale, vaginale et rectale.
La durée de traitement recommandée est de trois jours, sauf pour la cystite àstaphylocoque « blanc » Dnase négative qui doit être de sept jours (recommandations de grade3)
Les céphalosporines orales de première et de deuxième génération ne sont pas recommandées en première ligne empirique, en traitement court de trois jours (IbA). L’association Amoxiciline-Acide Clavulanique 500 mg par jour pendant trois jours est moins efficace que la Ciproxine XR 500mg par jour pendant trois jours.
Le Sulfaméthoxazole + Triméthoprime (Bactrim Forte®) ne peut être recommandé en première ligne empirique que dans les pays où la résistance au Bactrim Forte® est inférieure à 20% (IbA). Il semble au Maroc que ce taux de résistance est plus élevé en raison de l’utilisation très abondante de cet antibiotique dans les années passées.
Les Fluoroquilonones (Ciprofloxacine, Ofloxacine, Norfloxacine) sont aussi efficaces que le Bactrim Forte® en durée de trois jours (IbA). La Cipro XR (500mg) un comprimé par jour pendant trois jours, disponible au Maroc, est recommandée en Europe (IbA).
La Nitrofurantoine (Furadantine®) n’est pas recommandée car elle est peu active sur le Proteus et la Klebsiella .
Depuis quelque mois est disponible au Maroc la Fosfomycine Trométamol (Monuril®), en dose unique de 3 g, très recommandée en première ligne (IaA).
LA CYSTITE AIGUE RECIDIVANTE
La récidive est définie par la survenu de deux cystites les six des derniers mois ou trois épisodes de cystite par an. 20 à 30% des femmes vont avoir des cystites récidivantes au court de leur vie. Les facteurs favorisants sont: l’utilisation abondante de spermicide ou de diaphragmes vaginaux, une anomalie congénitale urinaire, une obstruction urinaire (sténose du méat urétral, prolapsus muqueux de méat urétral), mauvaise trophicité de la muqueuse vaginale, une cystocèle, un diabète, une chirurgie urologique du bas appareil urinaire, des brides hyménales après défloration chez la jeune mariée.
Les bases thérapeutiques des cystites récidivantes sont :
- Le respect des règles hygiéno-diététiques (boisson abondante, pas d’épices ou d’alcool).
- Une acidification des urines.
- L’utilisation de la Canneberge : le sirop du jus de cerise contient des proanthocyanidinesqui empêchent l’adhérence de l’E.coli aux cellules de la muqueuse vésicale. Trois études contre placebo ont montré une réduction de 20% du risque absolu de récidives.
- Le plus important est la mise en place d’une antibiothérapie prophylactique pendant six mois à un an, voire au delà, utilisant une faible dose d’antibiotique, le soir (Ia) ou en post-coïtal en cas de cystite récidivante en rapport avec un acte sexuel. Les antibiotiques recommandés sont :
En utilisant cette stratégie, le nombre d’épisodes infectieux par patient et par an est diminué en général de 90% durant le régime prophylactique.
LA PYELONEPHRITE AIGUE NON COMPLIQUEE CHEZ LA FEMME AVANT LA MENOPAUSE ET CHEZ LA FEMME NON ENCEINTE.
Elle fait souvent suite à une cystite, mais peut survenir sans les symptômes cliniques du bas appareil urinaire. Les examens recommandés en pratique de ville devant une première pyélonéphrite aigue de la femme sans signe de gravité sont : un ECBU initial, une échographie abdominale et un ASP pour éliminer une obstruction urinaire. Un uroscanner hélicoïdal, est indiqué que si une patiente reste fébrile après 72 h de traitement pour éliminer des complications tels que un abcès rénal ou un calcul radio transparent obstructif.
Le traitement de première ligne dans la forme clinique modérée en attendant les résultats de l’ECBU est une fluoroquinolone par voie orale pendant sept à dix jours, quand la résistante de l’E.coli aux fluoroquinolones est inférieure à 10% (IbA). Si des bacilles Gram positif sont vus à l’examen direct, d’où l’importance du premier appel téléphonique vers le laboratoire, il faut plutôt indiquer en première ligne une Aminopénicilline + un inhibiteur de la bêta-lactamase (IbB).
Il faut distinguer deux formes cliniques de pyélonéphrite aigue simple :
- La forme simple à modérée, avec un tableau clinique classique, sans signes digestifs (nausée, vomissement) ou symptôme septique. Cette forme peut être prise en charge en ambulatoire, par voie orale, en utilisant soit une fluoroquinolone tel que Ciprofloxacine ou une Céphalosporine de 3éme génération par voie orale. La patiente est réévaluée 72 heures après, avec un antibiogramme pour corriger l’antibiothérapie. La durée du traitement dans cette situation est de dix jours.
- Pour les formes sévères avec syndrome septique, l’hospitalisation est nécessaire afin de faire une antibiothérapie par voie intraveineuse jusqu’à l’apyrexie, associant soit une fluoroquinolone ou une Aminopenicilline + Acide Clavulanique ou une Céphalosporine de 3éme génération et un aminoside pendant 3 jours. Si l’apyrexie est obtenue au bout de trois jours, en fonction du résultat de l’antibiogramme, on peut passer à la voie orale.
La durée du traitement devant cette forme clinique est de 14 jours.
LA BACTERIURIE ASYMPTOMATIQUE
Elle est définie par une bactériurie significative supérieure ou égale à 105 colonies /ml sur deux examens, à 24 heures d’intervalle, associée ou non un leucocyturie et l’absence de signes généraux fonctionnels ou physiques.
L’E.A.U ne recommande pas le dépistage de la bactériurie asymptomatique chez les personnes suivantes : la femme non enceinte non ménopausée, la femme diabétique (IbA), les personnes âgées vivant dans les maisons de retraite, les personnes ayant un traumatisme médullaire.
Le dépistage de la bactériurie asymptomatique et le traitement sont recommandés chez : la femme enceinte (IbA), avant toute chirurgie endoscopique vésicale (IbA) ou d’autre intervention urologique. Le régime d’antibiothérapie doit être initié quelques jours avant la procédure endoscopique ou chirurgicale.
LES INFECTIONS URINAIRES CHEZ LA FEMME ENCEINTE SANS AUTRES FACTEURS DE RISQUE.
Il faut distinguer trois types d’infection chez la femme enceinte :
- La bactériurie asymptomatique. Plusieurs études ont démontré que 20 à 40 % des femmes qui ont une bactériurie asymptomatique pendant la grossesse peuvent développer une pyélonéphrite aiguë. Il est recommandé de dépister la bactériurie asymptomatique au premier trimestre de la grossesse (IaA). Le traitement est basé sur l’antibiogramme et la duré du traitement est de 5 à 7 jours (IIIb). Un ECBU de contrôle est préconisé une à quatre semaines après le traitement et juste avant l’accouchement (IIIb).
- La cystite aigue. La durée de traitement recommandée est de 7 jours. Très peu d’études ont démontré l’efficacité d’un traitement court. Les antibiotiques utilisés sont : Le Pivmécillinam (Selexid®) à la dose de 200 mg trois à quatre fois par jour pendant 7 jours (IbA), la Fosfomycine Trométamol (Monuril®) en prise unique d’un sachet de 3 g (IIaB). En fonction des données de l’antibiogramme, des céphalosporines de deuxième et troisième génération peuvent être utilisées, ainsi que la Nitrofurantoine. Après le traitement, il est important de faire un ECBU de contrôle pour démontrer l’éradication de la bactériurie.
- La pyélonéphrite aigue. Elle survient surtout en fin de grossesse, et son incidence augmente après l’accouchement. Les antibiotiques recommandés sont : les Céphalosporine de deuxième et de troisième génération ou un Aminopénicilline associé à l’Acide Clavulanique , pendant trois semaines et un Aminosides pendant trois jours. Durant la grossesse, les antibiotiques contre-indiqués sont les quinolones, Tétracycline et le Sulfamétoxazole. Dans les cas ou la défervescence ne se fait pas, qu’il persiste une dilatation du haut appareil urinaire, il faut mettre en place d’une endoprothèse JJ associée à une antibiothérapie prophylactique jusqu'à l’accouchement.
LES INFECTIONS URINAIRES CHEZ LA FEMME MENOPAUSEE
Pour la cystite aigue, la durée de traitement recommandé est de 7 jours. En l’absence de résistance, l’utilisation des fluoroquinolones par voie orale est une excellente indication.
En cas de cystite récidivante, il faut une antibioprophylaxie comme chez la femme non ménopausée, en y associant une oestrogènothérapie locale, vaginale par crème ou ovule (IbA). Cette hormonothérapie locale réduit significativement le taux de récidive.
CONCLUSION :
Les infections communautaires de la femme représentent différentes situations cliniques en fonction de l’organe qui est atteint.
L’E.coli est la bactérie principale. Il est important de connaître le niveau de résistance des entérobactéries dans la région ou le pays où l’on exerce.
Il faut distinguer une infection simple d’une infection compliquée, car cela a un impact à la fois sur l’évolution pré et post-thérapeutique, sur le type et la durée de traitement ainsi que l’étendue de l’évaluation radiologique.
Enfin la qualité du bactériologiste avec qui vous êtes en relation, reste un élément important dans la démarche thérapeutique.
Level |
Type of evidence |
I a |
evidence from meta-analyse of randomized trials |
I b |
evidence obtained at least on randomized trials |
II a |
evidence obtained at least one well-designed controlled study without randomization |
II b |
evidence obtained at least one other type of well-designed quasi experimental study |
III |
evidence obtained from well-designed non-experimental study, comparative studies, correlation studies, case reports |
IV |
evidence obtained from expert committee reports or opinions or clinical experience of respected authorities |