PHYTOTHÉRAPIE : ENTRE SCIENCE ET CHARLATANISME

Le rideau vient de tomber sur les 11èmes Journées pharmaceutiques et la 5ème édition du prix SRPOO qui se sont tenues conjointement les 16 et 17 mai à la faculté de médecine et de pharmacie d’Oujda.

Cette rencontre qui a eu pour thème : « Valorisation de plantes médicinales : vers un emploi sécurisé en pharmacie », a démarré par une allocution (lien) de M. Moustapha Benhamza, président du conseil scientifique D'Oujda. Ce théologien de renommée, et après avoir fait un rappel historique au sujet de l’utilisation des plantes médicinales chez les pays arabo-musulmans à travers le temps, a déploré l’approche mercantile adoptée par certains commerçants qui profitent de l’ignorance et de la pauvreté des malades pour leur vendre des plantes au risque de mettre leur vie en danger.

Le Dr. Souad Skalli, responsable de la phytovigilance au centre antipoison et de pharmacovigilance du Maroc, a étayé les propos de M. Benhamza par une présentation (lien) exhaustive par laquelle elle a brossé un tableau très inquiétant sur l’utilisation des plantes médicinales au Maroc. Elle a aussi plaidé en faveur d’une mobilisation de tous les intervenants pour réduire le nombre d’intoxications (1)  qui a tendance à augmenter ces dernier temps. La diffusion de certaines émissions dédiées aux médecines dites alternatives, a largement contribué à l’engouement des citoyens pour l’usage de ces plantes. Celles-ci peuvent s’avérer dangereuses, soit par les effets toxiques qu’elles peuvent engendrer ou tout simplement parce que le malade abandonne son traitement avec tous les risques que cela comporte.

L’utilisation de l’aristoloche, appelée communément Bereztem (Aristolochia longa -Aristolochiaceae), en est un exemple criant à plus d’un titre. D’une part, les personnes souffrant du cancer peuvent abandonner leurs thérapies et compromettre leur chance de guérison, d’autre part les rhizomes de l’aristoloche renferment l’Acide Aristolochique (AA) dont la nephrotoxicité contraint bien souvent les usagers de cette plante à des séances d’hémodialyse dont ils se seraient bien passés. Le plus paradoxale c’est que l’AA est classé par l’OMS parmi les substances cancérigènes.

Face à l’engouement des patients pour les plantes médicinales, les pharmaciens et les autres professionnels de santé doivent compléter leur formation de base pour pouvoir mieux exploiter les vertus des plantes et éviter toute utilisation pouvant mettre en danger les patients. Les industriels devraient à leur tour, mettre à la disposition des professionnels de santé des produits à base de plantes offrant le maximum de sécurité, et répondant aux attentes des citoyens en terme de variété et de prix.

On devrait également nous intéresser à la flore de chaque région, ne serait ce que pour pouvoir sensibiliser les patients sur les plantes les plus dangereuses. C’est sans doute ce qui a poussé un groupe de pharmaciens d’Oujda à étudier les plantes de leur région pour établir une monographie qu’ils mettront bientôt à la disposition des professionnels de santé.

Deux conférences de grande qualité ont été au programme de la journée pharmaceutique d’Oujda. La première intitulée : « Utilisation des huiles essentielles en pharmacie: potentialités thérapeutiques et effets toxiques rencontrés dans la population » (lien) a été donnée par Luc Angenot, professeur émérite à l’université de Liège. Quant à la deuxième conférence qui a eu pour thème : « Place des plantes en officine en EUROPE et plus particulièrement en BELGIQUE…Et au MAROC? », elle a été traitée par le Pr. Monique Tits également professeur à Liège. Ces deux présentations ont mis en exergue l’importance de la formation pour l’optimisation de l’utilisation des plantes médicinales et des huiles essentielles. De même, elles ont démontré l’importance de la réactualisation de la législation pour empêcher les non phytothérapeutes de faire des diagnostics et d’administrer des plantes médicinales dont ils ne maîtrisent pas l’innocuité.

Enfin, on ne peut que féliciter les pharmaciens d’Oujda pour cet engagement en faveur de l’utilisation rationnelle des plantes médicinales et on ose espérer que le législateur fasse le nécessaire pour protéger les citoyens des égarements des charlatans de tous bords.
Abderrahim Derraji , Docteur en pharmacie
20 mai 2014

(1) Les notifications relatives aux intoxications par les plantes ont constitué en 2013 16,7% du total des notifications de tous les produits de santé (médicaments, vaccins, cosmétiques, dispositifs médicaux…)