Article N° 7400

PRIX DU MÉDICAMENT

Faut-il sacrifier les acteurs du secteur pharmaceutique pour garantir la pérennité des caisses d’assurance maladie?

Abderrahim Derraji - 29 juin 2022 20:32

Le ministère de la Santé a entamé, le 28 juin, une série de rencontres et d'ateliers avec les acteurs du secteur pharmaceutique en vue de préparer une nouvelle mouture du Décret 2-13-852 relatif aux conditions et modalités de fixation du prix public de vente des médicaments fabriqués localement ou importés.

Selon un communiqué du même département daté du 28 juin, les propositions des intervenants du secteur pharmaceutique contribueront à faciliter l'accès aux médicaments, à maintenir la pérennité des fonds de protection sociale et à préserver le pouvoir d'achat des citoyens.

Pour rappel, le Décret de fixation des prix des médicaments, qui a été publié le 18 décembre 2013, a apporté plus de transparence dans la fixation des prix des médicaments. Celle-ci se fait depuis l’entrée en vigueur du Décret 2-13-852 sur la base d’un benchmark avec six pays, en plus du pays d’origine du médicament.

Depuis la promulgation de ce texte, les prix des médicaments ont connu plusieurs révisions successives. Toutefois, à part quelques cas exceptionnels, les révisions n’ont été faites que dans le sens de la baisse. Les médicaments dont les prix sont inférieurs aux prix pratiqués par les pays de référence ont gardé leurs prix inchangés. Ce maintien de prix anormalement bas est à l’origine de l’arrêt de commercialisation de plusieurs spécialités pharmaceutiques dites à petit prix. 

Le nouveau mode de décrochage du médicament générique et les révisions quinquennales ont été également à l’origine de baisses des prix des médicaments et d’un alignement du prix du médicament princeps sur celui de ses génériques. Cet alignement des prix compromet l’apport économique du médicament générique.

Le stockage de ces médicaments génériques dont le nombre ne cesse d’augmenter constitue également une contrainte supplémentaire pour les pharmaciens d’officine.

Contrairement aux pharmaciens exerçant dans d’autres pays, le pharmacien marocain se voit obligé de stocker tous les princeps et la totalité de leurs génériques, étant donné qu’il n’a pas le droit de substitution, y compris en cas de rupture de stock. Cela complique son quotidien et oblige souvent le patient à se rendre à plusieurs officines pour espérer avoir la totalité des médicaments qui lui sont prescrits.

La mise en application du Décret 2-13-852 a aussi révélé d’autres incohérences qui pénalisent tous les acteurs du secteur pharmaceutique et particulièrement le pharmacien d’officine, à commencer par la non-application de la marge dégressive lissée telle qu’elle a été suggérée par les auteurs du rapport BCG «L’étude sur la concurrentiabilité du secteur pharmaceutique».

Ce rapport ne préconisait pas non plus la mise en place de deux marges en plus de deux forfaits pour les médicaments dont le prix public de vente est supérieur à 962.70 DH.

Ces deux forfaits qui auraient dû améliorer l’accès aux médicaments dits chers ont produit l’effet inverse puisque la plupart des pharmaciens refusent de les dispenser à perte. 

Lors des réunions programmées ces quatre jours par le ministère de la Santé, les conseillers ordinaux vont représenter les pharmaciens d’officine, sachant qu’ils n’ont pas organisé d’élections depuis 2017.

Ces représentants viendront s'ajouter aux représentants d’autres entités dont certaines souffrent des mêmes maux que les Conseils régionaux. Et aussi invraisemblable que ça puisse paraître, ce sont les pharmaciens qui avaient soutenu, contre vents et marées, le ministre de la Santé en 2013, qui vont parler, une fois de plus, au nom des pharmaciens.

Aujourd’hui, plusieurs amendements du Décret de fixation des prix des médicaments tombent sous le sens, à commencer par la mise en place du droit de substitution qui est devenu une nécessité pour que le pharmacien puisse améliorer la gestion de son stock et pouvoir proposer des alternatives thérapeutiques en cas de ruptures.

Les forfaits T3 et T4 ont montré leurs limites, et seuls une marge, même réduite, sur ces produits et un accompagnement fiscal pourraient améliorer leur accessibilité.

Ces mesures, très attendues par les pharmaciens, pourraient ne pas suffire pour garantir des revenus justes. 

À vrai dire, seuls un changement de paradigme et l’adoption d’autres modes de rémunération pourraient réduire l’impact des baisses des prix sur les revenus du pharmacien. La mise en place d’honoraires de dispensation ou de suivi de certaines catégories de patients testée dans d’autres pays a démontré l’apport de ces nouveaux modes de rémunération sur l’économie de l’officine et la viabilité des caisses d’assurance maladie.

Pour conclure, on ose espérer que l’administration ne va pas profiter de la division de la profession pour imposer aux pharmaciens de nouvelles mesures qui vont aggraver leur situation économique. On espère également que les pharmaciens, qui n’ont été avisés qu’à la dernière minute, ne donneront pas leur feu vert pour un nouveau Décret de fixation des prix des médicaments qui ne prend pas en considération la viabilité de la pharmacie d’officine, et de grâce qu’ils ne nous refassent pas le coup des mesures compensatoires !  

Source : PMA