Article N° 6736

MEDECIN-PHARMACIEN

Médecins-pharmaciens : L’heure est à l’interprofessionalité !

Abderrahim DERRAJI - 25 mai 2020 19:51

Depuis le début de la pandémie, tous les professionnels de santé se sont surpassés pour faire face à la situation sanitaire du Royaume dont les mesures prises pour contenir la Covid-19 ont été saluées, entre autres, par l’Union européenne [1].

À l’instar des autres professionnels de santé, les pharmaciens n’ont pas démérité. Toutes les officines sont restées ouvertes et le service d’astreinte a même été amélioré dans toutes les villes de telle sorte que chaque quartier dispose de sa propre pharmacie de garde.

Durant cette période, les pharmaciens ont été confrontés à des situations particulières. En effet, beaucoup de patients n’ayant pas pu renouveler leurs ordonnances en raison de problèmes liés au transport, ou par ce qu’ils avaient tellement peur d’être contaminés par la Covid-19 qu’ils se sont cloîtrés chez eux. Pour ces malades, les pharmaciens ont essayé de trouver des solutions pour qu’ils n’arrêtent pas leurs traitements. Les ruptures de stock ont aussi contraint les pharmaciens à chercher des alternatives pour les patients, y compris quand ils n’arrivent pas à joindre le prescripteur.

Devant cette situation, la présidente du Conseil régional des pharmaciens d’officine du Sud (CRPOS) a sollicité le ministre de la Santé pour qu’il prévoit des dispositions pour que les pharmaciens puissent, à titre dérogatoire, substituer un médicament par un autre appartenant au même groupe de génériques, sachant que depuis la promulgation du décret n° 2-13-852 du 18 décembre 2013 [2], les écarts de prix entre les génériques s’est réduit comme une peau de chagrin.

Un mois après la correspondance de la présidente du CRPOS qui est restée lettre morte, des députés du parti de l’Istiqlal ont émis une proposition d’amendement de l’article 29 de la Loi 17-04 portant Code du médicament et de la pharmacie. Cette proposition prévoit d’autoriser les pharmaciens à pratiquer la substitution par un générique moins cher.

Sachant que la substitution bien encadrée est de mise dans la plupart des pays et que la pratique officinale doit évoluer en permanence pour améliorer l’accessibilité aux médicaments, la plupart des pharmaciens ont été surpris par un communiqué émanant d’une représentation syndicale de médecins assimilant à tort le remplacement d’une marque commerciale par une autre à de l’exercice illégal de la médecine.

Ce communiqué et les échanges sur les réseaux sociaux qu’il a déclenchés ont malheureusement réveillé de vieux démons qui ont rapidement fait voler en éclats l’ambiance amicale et confraternelle qui prévalait entre les deux corporations.

Bien évidemment, personne ne peut remettre en question les exigences des médecins quand elles sont bien fondées.

En effet, une enquête à visée descriptive sur l’utilisation des antibiotiques génériques ayant inclus, en 2010, quelque 114 médecins généralistes exerçant dans le secteur public au niveau de la préfecture de Marrakech [3], a révélé que les médecins qui «ne semblent pas opposés à l’utilisation des médicaments génériques», veulent «des preuves scientifiques attestant la qualité des génériques». Ils ont également besoin d’un répertoire officiel de groupes génériques.

On peut aussi admettre aisément un refus de recours aux génériques quand il s’agit de médicaments à marge thérapeutique étroite (MTE) où contenant un excipient qui n'est pas toléré par le patient, mais on ne peut pas justifier le refus de substitution par une étude n’ayant jamais existé [4] et attaquer au passage la profession pharmaceutique en proférant des propos qui ont provoqué l’indignation de tous les pharmaciens.

Depuis la proposition d’amendement de la Loi 17-04 formulée par le parti de l’Istiqlal, on assiste à des échanges musclés sur les réseaux sociaux. On a pu lire des commentaires du genre : «Celui dont la maison est de verre doit se garder de jeter des pierres aux autres». Une phrase qui vient nous rappeler que les propos irréfléchis et incongrus peuvent provoquer une escalade qui finira par affecter l'image des deux professions. L’heure n’est pas aux jets de pierres ! Les médecins et les pharmaciens que l’intérêt du patient réunit ne peuvent que se respecter mutuellement et c’est d’ailleurs souvent le cas. Ce respect n’est, en aucun cas, incompatible avec l’évolution des deux professions.

Dans d’autres pays, l’interprofessionalité est devenue la règle. Les pharmaciens ont été autorisés à vacciner afin d’améliorer la couverture vaccinale. Ils font également du suivi thérapeutique de certaines maladies chroniques et contribuent à améliorer l'observance aux traitements. Dans certains pays, les officinaux peuvent même prescrire des médicaments. Ces missions qui répondent à des impératifs de santé publique sont bien encadrées et respectent des protocoles précis. Elles sont également conditionnées par des modules de formation dont la finalité est d’optimiser l’apport du pharmacien.

Pour conclure, la médecine et la pharmacie sont des professions nobles et complémentaires qui doivent être pratiquées d’une manière éthique et conformément aux lois en vigueur. Les pharmaciens et les médecins doivent entretenir des relations confraternelles et surtout éviter de se donner en spectacle particulièrement sur les réseaux sociaux ou par presse interposée. Ceci est aussi valable pour leurs représentants. Martin Luther-King, n’a-t-il pas dit: «Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots»?

Références

[1] Lien  
[2] Lien 
[3] Enquête sur l’utilisation des antibiotiques génériques.
H. Chegour, M. Bouskraoui* *Service de pédiatrie A. Hôpital AR-Razi. Po?le Me?re-Enfant. CHU Mohammed VI. Marrakech
[4] Le communiqué en question évoque une étude qui n’a jamais été menée.
En réalité, il s'agit d'une présentation faite au Colloque national de la pharmacie tenu à Marrakech au mois de mars 2010. (Lien du diaporama : lien )
L’auteur de la présentation avait expliqué que 80% des malades s’adressent directement chez leurs pharmaciens pour avoir des conseils.
L’auteur du communiqué a fait une confusion entre le nombre de patients qui demandent conseil au pharmacien et le chiffre d'affaires réalisé par patient.

Source : PHARMANEWS