Article N° 6538

CONSEIL DE L'ORDRE

La pharmacie entre le droit et la volonté du changement

PharmaNEWS - 10 novembre 2019 23:22

La pharmacie au Maroc vit, depuis plus d’une vingtaine d’années, une crise profonde et sans précédent. Ressentie à tous les niveaux économique, social, organisationnel et surtout institutionnel, cette crise a pointé du doigt le cadre juridique régissant la profession.

En effet, la législation pharmaceutique censée réguler les métiers de la pharmacie a été très vite décriée. Caractérisée d’anachronique et d’obsolète, des voix se sont élevées crescendo pour appeler à sa réforme. Cette dernière est devenue nécessaire pour consolider le monopole du pharmacien qui est en état d’effritement avancé et pour fédérer la profession autour de sa mission principale : le service du malade.

L’adoption de la Loi 17-04 portant Code du médicament et de la pharmacie et sa promulgation en 2006 après presque deux années de navette entre les deux Chambres du Parlement ont été les prémices d’une longue marche vers l’édification d’un droit pharmaceutique moderne. Ce droit se veut le garant des équilibres entre les droits et les devoirs du pharmacien, entre le caractère libéral de la pharmacie et celui de sa mission auprès du public et entre l’indépendance des décisions ordinales et la tutelle administrative, etc. Si tel a été le souhait des promoteurs de la réforme et de tous les pharmaciens, le constat en a été autre ! La profession est devenue de plus en plus déchirée. Une guerre des instances a fini par aboutir à un blocage sans précédent de l’Ordre des pharmaciens dans toutes ses structures.

Une fois de plus, le droit a été montré du doigt puisqu’il a permis à l’Ordre d’être formé à partir d’un scrutin fondé en majorité sur le vote par correspondance. Un Conseil issu d’un tel scrutin ne pouvant en aucun cas être représentatif de la profession et à même d’assurer les missions qui lui sont attribuées par la loi. La réforme du Dahir du 17 décembre 1976 instituant un Ordre des pharmaciens initiée en 2013 a eu pour objectif d’interdire le recours au vote par correspondance et la formation de Conseils démocratiquement élus. Elle a aussi eu pour finalité de permettre un fonctionnement normal de l’institution ordinale et surtout de ses instances disciplinaires, d’autant plus que la discipline est devenue depuis longtemps le parent pauvre de la profession.

Les conséquences de la période «pré-réforme» nous les connaissons tous, l’instauration d’un nouveau cadre des prix des médicaments et son impact négatif sur la viabilité économique des officines de pharmacies. Ces difficultés ont engendré une ambiance délétère au sein de la profession avec des pharmaciens de plus en plus rétifs au respect des lois et des règlements régissant la pharmacie.

Aujourd’hui, un projet de réforme globale de la loi relative à l’Ordre des pharmaciens vient d’être adopté par le Gouvernement. Tel qu’il a été présenté, ce projet se veut un dispositif juridique à même de construire un Ordre solide, regroupant l’ensemble des acteurs de la chaine du médicament dans toutes ses composantes industrie, répartition et officine, de même que la biologie, une science incontournable dans la chaine des soins et qui s’oriente de plus en plus vers une véritable «médecine de laboratoire». Il permettra également à l’instance ordinale d’être dotée de moyens et de structures lui permettant de relever les défis auxquels fait face la pharmacie et d’accomplir les missions qui lui sont dévolues dans les meilleures conditions. Le contenu de ce projet très ambitieux, qui fera certainement l’objet d’amendements par les Représentants de la Nation, demeure en parfaite harmonie avec le développement de la pharmacie et des sciences pharmaceutiques et biologiques. Dès sa promulgation il permettra de gérer l’organisation et le fonctionnement de l’instance ordinale pour plusieurs années, voire plusieurs décennies. À cet égard, il convient de rappeler que les lois, aussi parfaites soient-elles, ne valent que ce que valent ses destinataires, et qu’elles dépendent davantage de la conscience plutôt que de la compétence.

Il est temps de ne plus se focaliser sur les détails du droit, mais de se pencher sur les véritables problèmes de la pharmacie, profession qui a surtout besoin de pharmaciens qui la portent dans leur cœur, des pharmaciens dévoués et respectant à la lettre les principes déontologiques. Elle a également besoin de pharmaciens plaçant l’intérêt général du pays et celui de la profession avant les intérêts particuliers. Et que dire de ces luttes intestines qui gangrènent le corps pharmaceutique ? Sans l’union de toutes les composantes de la profession, ses membres finiront par précipiter sa disparition.

Source : Mohamed MEIOUET Docteur en pharmacie et en droit