Article N° 6123

GÉNÉRIQUES ET BIOSIMILAIRES

Génériques et biosimilaires : L’Europe souhaite renforcer la compétitivité de son industrie

Abdelatif Elouahabi, Expert en Biopharmaceutique et propriété intellectuelle. - 09 septembre 2018 20:47

Il y a environ trois mois, la Commission européenne a annoncé un changement de taille dans les règles de protection des médicaments par les fameux SPC (Supplementary Protection Certificates) qui permettent de prolonger la vie des brevets d’une période de cinq années. Le changement consiste à permettre aux industries pharmaceutiques basées en Europe de produire sur le sol des États membres des versions génériques ou biosimilaires de molécules originales, encore sous protection par les SPC, ce qui était interdit avant. Mais cette dérogation est conditionnée par l’obligation de destiner ces productions exclusivement à l’export en dehors de la zone de l’Union européenne (UE), dans les pays où la protection a expiré ou n’a jamais existé, peut-on lire dans le communiqué de presse de la Commission (1).


Le communiqué justifie la nouvelle mesure par la volonté de la Commission d’enlever une barrière légale désavantageant les industries européennes du générique et du biosimilaire. En effet, ces dernières ne pouvaient pas produire en Europe et exporter dans d’autres régions du monde avant l’expiration des SPC, alors que d’autres industries basées en dehors de l’UE peuvent le faire. Et de rajouter : «ce désavantage compétitif majeur est associé au risque de délocalisation de ces industries et donc une perte d’investissement en Europe». La Commission prévoit, grâce à cette mesure, la création de 25.000 nouveaux emplois sur les dix années à venir, et une augmentation des ventes d’un milliard d’euros par an.

Mais la flexibilité ainsi accordée n’a de sens que si un marché significatif existe et dans lequel les demandes de brevets n’ont pas été déposées, ou ont été déposées, mais n’ont pas été délivrées, ou encore les pays concernés n’accordent pas les fameux SPC. Il serait donc intéressant d’analyser un tel marché pour les molécules dont les SPC sont toujours valables au sein de l’UE. Des puissances comme l’Inde, la Chine, le Mexique ou encore le Brésil ont la capacité de développer des biosimilaires et conquérir les marchés émergents où la protection des molécules innovantes par des brevets devient de plus en plus difficile. Seraient-ils donc visés en premier par cette mesure ? Celle-ci serait-elle un pas de plus dans la bataille commerciale opposant l’Europe aux pays émergents dans le domaine des médicaments ?


L’impact possible de la mesure sur la compétitivité des industries européennes du générique sera différent en comparaison avec celui du biosimilaire. Si dans les deux cas, les entreprises se préparent à lancer les «copies» bien avant l’expiration des brevets ou SPC, la complexité de la protection par les droits de propriété intellectuelle est très différente.

 



Dans le cas du générique, les brevets concernent généralement le principe actif ou parfois la formulation pour les molécules complexes nécessitant des procédures galéniques innovantes.

L’expiration du brevet concernant le principe actif confère ainsi une liberté d’exploitation importante, voire totale aux génériqueurs. Pour les biosimilaires, molécules biologiques produites dans des systèmes vivants, les couches de protection sont souvent multiples et peuvent concerner le principe actif, les agents de vectorisation, la formulation, les souches cellulaires permettant la production, les vecteurs d’expression, certaines étapes des procédés de fermentation et/ou purification. Ces multitudes de brevets n’expirent généralement pas en même temps, car leurs dépôts se font au fur et à mesure du développement par le propriétaire de la molécule innovante. Même quand les brevets couvrant le principe actif expirent, la liberté d’exploitation reste souvent limitée par les autres brevets encore en cours. La FDA (Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux), par exemple, a mis en place un système de vérification de la liberté d’exploitation assez complexe et procédant par étapes. L’année dernière, Coherus BioSciences-Inc a tenté d’invalider un brevet concernant la formulation détenue par AbbVie pour libérer la voie pour un biosimilaire d’Humira (2). Ayant perdu les multiples procès intentés, Coherus BioSciences-Inc courait le risque de voir attendre l’expiration du brevet d’AbbVie même dans le cas où son produit aurait été approuvé par la FDA.

La complexité technologique et le temps de développements ont également plus importants pour les biosimilaires que pour les génériques. Cette complexité technologique nécessite un lourd investissement, non seulement dans les installations industrielles, mais aussi dans les équipes de recherche et leur savoir-faire. Une partie importante de ce savoir-faire est protégée par le secret industriel et non pas par les brevets ce qui nécessite la mise en place de mesures techniques et juridiques de protection du secret. Il n’est donc pas très vraisemblable que ces entreprises s’aventurent dans une délocalisation de leurs activités vers des régions du monde où cette protection du secret devient beaucoup plus difficile. Le risque de délocalisation évoqué par la Commission nous semble peu probable dans le cas des biosimilaires. De ce fait, la possibilité pour ces entreprises de produire en Europe et d’exporter des biosimilaires avant l’expiration des SPC pourrait, en effet, leur conférer davantage de compétitivité. Les entreprises (3) des pays émergents comme la Chine ou l’Inde auront besoin de plus de temps pour implémenter le savoir-faire requis pour les nouvelles molécules et arriveront probablement sur le marché après les Européens.

Des géants émergents comme l’Inde et le Brésil ont durci les conditions d’octroi de brevets afin de lutter contre certaines pratiques des multinationales, notamment les fameux «ever-greening» consistant à introduire des modifications mineures au niveau de molécules existantes puis de revendiquer un nouveau brevet. La bataille juridique ayant duré 8 années entre l’Inde et Novartis et concernant la demande d’un brevet revendiquant la forme sel (imatinibmesylate) de la molécule imatinib s’est soldée par le refus de l’Inde d’accorder ce brevet (4). L’Inde, depuis qu’elle a modifié sa législation brevet en 2005 pour se mettre en conformité avec les obligations que l’accord TRIPS lui impose, interprète de manière très stricte la section 3d de «l’Indian Patent Act». De nouvelles formes de molécules existantes doivent démontrer une supériorité d’efficacité clinique pour bénéficier d’un brevet indien ce qui n’est pas le cas en Europe ou États-Unis. De ce fait, la nouvelle mesure de la Commission européenne pourrait être perçue comme une réponse de l’Union européenne visant à «inonder» le marché indien par les versions génériques et biosimilaires puisque l’Inde refuse d’accorder certains brevets à l’industrie innovante européenne. C’est de bonne guerre, dira-t-on !

Source : 

(1) Lien  (2) Lien (3) Lien (4) Lien 

 

Source : PMA