Article N° 5059

PRIX DU MÉDICAMENT

À bas le prix bas!

Zitouni IMOUNACHEN, Docteur en pharmacie - 19 avril 2016 01:58


Ces dernières années, les enseignes du monde entier se livrent une véritable guerre des prix. Cette course effrénée vers le prix bas, conséquence directe de la stagnation et de la faiblesse du pouvoir d’achat, n’épargne pas le Maroc et touche presque tous les secteurs.

Si on peut comprendre le choix des consommateurs qui sont souvent confrontés à une situation où leur vouloir d’achat dépasse de loin leur pouvoir d’achat, force est de constater que ces derniers font preuve d’une véritable schizophrénie. En tant que clients, ils veulent toujours le prix le plus bas, et en tant que citoyens, ils regrettent que les entreprises ferment et que les emplois se perdent au profit des importations lointaines.
Dans les prix que nous payons lors de l’acquisition de toute marchandise, il y a notamment les salaires de ceux qui produisent, autrement dit leur capacité à consommer, il y a aussi les profits des entreprises, c'est à dire leur capacité à investir et à créer de nouveaux emplois. On ne peut donc vouloir baisser les prix et lutter contre le chômage.

La guerre des prix engendre aussi des conséquences néfastes indirectes, c’est ce que les économistes appellent les externalités* négatives. Par exemple, dans le domaine alimentaire, plus on baisse les prix, plus on substitut les ingrédients les plus nobles par des ajouts de sucre ou de graisse. Dans ce cas de figure, les externalités négatives se payent au prix des nouvelles maladies alimentaires dont les coûts de traitement pèsent sur l'assurance maladie.

Au Maroc, après la publication du Décret 2-13-852, relatif aux conditions et aux modalités de fixation du prix public des médicaments, un grand nombre de médicaments ont vu leurs prix baisser de manière très significative. Cette baisse a été acceptée, dans un sursaut de citoyenneté et de solidarité, par toutes les composantes du secteur du médicament. Seulement, cette tendance baissière ne doit pas perdurer, ni s’amplifier. Car la baisse des prix n’est qu’un des leviers possibles pour améliorer l’accessibilité aux soins. D’autres leviers, bien plus importants existent bel et bien, notamment la généralisation de la couverture médicale et l’amélioration du pouvoir d’achat de la classe moyenne.
Si on choisit de s’acharner sur le prix et uniquement le prix, on aboutirait inévitablement à une baisse de la qualité des médicaments, car les économies se font obligatoirement à son détriment. On assistera aussi à l’aggravation de la situation économique des pharmacies d’officine, à la fermeture d’unités industrielles marocaines, au départ des multinationales installées au Maroc, et in fine on perdra notre quasi-indépendance nationale dans la production des médicaments.


Aujourd’hui, il est peut être temps de délaisser la notion du prix bas pour une autre notion plus équitable et qui n’est autre que le prix juste. Ce dernier devrait être fixé en tenant compte de la qualité du produit et des conséquences humaines, sociales et écologiques.
Car, qui parmi-nous refuserait de payer un peu plus cher pour préserver les emplois de nos enfants ou parents, pour préserver notre environnement, et pour préserver la qualité ?  Personne, je suppose. À moins que la baisse des prix ne soit que la manifestation visible d’un phénomène beaucoup plus grave : celui de la déliquescence morale de notre société et d’une grave altération du bon sens.
Zitouni IMOUNACHEN

* on dit qu’il y a externalité lorsque l’activité de consommation ou de production d’un agent a une influence sur le bien-être d’un autre sans que cette interaction ne fasse l’objet d’une transaction économique.
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Source : Pharmanews 338